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les forêts succèdent aux rizières. Ces forêts sont riches en produits destinés à la droguerie chinoise, lesquels se vendent souvent plus qu’au poids de l’or.

Les canaux qui dépendent des cinq fleuves de la Basse-Cochinchine et les relient entre eux sont autant de routes très propres au commerce, à la guerre, mais aussi au brigandage. Le commandement d’un point qui aurait été à la fois un centre militaire et commercial aurait singulièrement réduit les difficultés de la conquête ; mais il se trouva que ces deux attributions étaient séparées, que Saïgon était le centre militaire, My-thô le centre commercial. Les habitudes de plusieurs siècles, le faible tirant d’eau des jonques japonaises, chinoises, annamites et siamoises, la proximité des provinces les plus abondantes en riz, la concentration de tous les arroyos sur le Cambodge, toutes ces causes faisaient de My-thô, avant l’arrivée des Européens, le premier centre commercial de la Basse-Cochinchine. Saïgon, par sa forteresse, sa position à cheval sur les routes qui mènent à Hué et au Cambodge, et surtout la domination du Don-naï, était le centre militaire et administratif des six provinces : sous un maître européen, il devait conserver cette influence militaire et y joindre l’importance commerciale de My-thô. Cette concentration du commerce et de l’action militaire dépendait du commandement d’un cours d’eau qui relie les deux villes, l’Arroyo Chinois, dont l’importance stratégique était de premier ordre.

Saïgon, où se trouvait alors bloquée une petite garnison franco-espagnole, n’est pas une ville dans l’acception européenne du mot. Ce n’était plus une place forte étendant au loin son influence, puisqu’elle était bloquée et que sa forteresse avait été ruinée et remplacée par un fort de moindre importance[1]. De ses chantiers, où se trouvaient en 1819, avant l’invasion des Cambodgiens, deux frégates à l’européenne et cent quatre-vingt-dix galères, de son vaste palais impérial, de son arsenal maritime, il ne restait rien. Tout au plus pouvait-on voir sur les bords du Don-naï quelques établissemens d’un aspect assez précaire, où les débris de l’occupation de Touranne avaient été rassemblés. Sa population, autrefois de cent cinquante mille habitans, s’était aussi singulièrement réduite.

Le voyageur qui arrive à Saïgon aperçoit sur la rive droite du fleuve une sorte de rue dont les côtés sont interrompus de distance en distance par de grands espaces vides. Les maisons, en bois pour la plupart, sont recouvertes de feuilles de palmier nain ; d’autres, en petit nombre, sont en pierre ; leurs toits de tuile rouge égaient et rassurent un peu le regard. Sur le second plan, des groupes de

  1. L’ouvrage neuf.