Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/259

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’Italiana in Algieri, celui du Barbier de Séville, et tant d’autres sont des merveilles de grâce et de fantaisie bâties sur une pointe d’épingle. Dites-moi donc la raison des arabesques de Raphaël ? Expliquez-moi, au nom de Boileau et d’Horace, l’incomparable génie de Shakspeare, varié et multiple comme la vie et la nature ? O Richard Wagner, Tudesque barbare ! ô Mendelssohn, noble et triste naturel ô vous tous, auteurs ennuyeux des Reines de Saba, imitateurs du pathos germanique, vous ne comprenez rien à cette joyeuseté divine d’un art qui rayonne comme le soleil, et qui charme le monde sans se préoccuper de mythes ni de psychologie transcendantale !

Mme Frezzolini, de gracieuse mémoire, qui pendant si longtemps a charmé l’Italie, où elle est née, qui a parcouru le monde dans tous les sens, est revenue à Paris, bien changée, hélas ! Elle a reparu tout récemment au Théâtre-Italien dans la Lucia, de Donizetti, qui était autrefois un des beaux rôles de son répertoire. Elle a été accueillie avec courtoisie par le public, qui lui a su gré du style, de la tenue élégante, de la grâce et du sentiment qu’elle possède encore au déclin d’une brillante carrière. La voix de Mme Frezzolini, qui était si flexible et si étendue, est aujourd’hui ternie par les fatigues ; mais il lui reste le goût et les traditions d’une belle école. C’est une artiste de haute lignée, et on peut l’entendre encore avec plaisir.

M. Naudin, dont la voix de ténor a un timbre éclatant et vraiment italien, a eu d’heureux momens dans le rôle d’Edgardo, qui a été interprété par les premiers virtuoses du siècle. Si M. Naudin, qui joue et chante avec feu, pouvait modérer ses transports et ménager la transition du fortissimo à la voix mixte et smorzata, dont il se sert avec adresse, il serait un chanteur d’un plus haut prix. Tel qu’il est cependant, M. Naudin est un ténor de talent qu’on est heureux de posséder à Paris. C’est M. Bartolini qui a rempli le rôle d’Asthon avec un emportement farouche qu’il ferait bien aussi de modérer. La voix de baryton de M. Bartolini, d’un timbre un peu âpre, ne manque pas de sonorité, et lorsqu’il éclate en cris forcenés, ce qui lui arrive souvent, son organe s’assourdit et devient désagréable à l’oreille. Malgré ces imperfections, qu’il est de notre devoir de relever, malgré l’incorrigible manie de M. le chef d’orchestre de précipiter tous les mouvemens, le chef-d’œuvre de Donizetti est rendu avec assez d’ensemble et de fidélité. Quelle musique ! que de sentiment, que de grâce dans cette délicieuse partition, dont le finale du second acte est une merveille de facture et d’inspiration ! Ah ! quand les Italiens sont des maîtres, ils sont les premiers compositeurs du monde dans la musique dramatique. Est-il bien nécessaire qu’on sache que le Théâtre-Italien a donné aussi la Sonnambula cette année avec un ténor impossible, M. Cantoni, qui a chanté le rôle d’Elvino sans voix, sans jeunesse et sans talent ? On l’a renvoyé bien vite où on l’avait pris, et on a engagé, pour le remplacer, M. Gardoni, une vieille connaissance du public parisien.

Il résulte des faits et gestes que nous venons de raconter que le Théâtre-Italien laisse beaucoup à désirer, et que malgré les efforts incontestables que fait l’administration pour contenter le public qu’elle convie à ses fêtes, elle ne réussit pas tout à fait à atteindre le but qu’elle se propose. La troupe qu’elle a réunie cette année serait bien suffisante pour interpréter convenablement huit ou dix ouvrages bien choisis du répertoire, si cette