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les classes, y compris les plus humbles, celles qui, dans les temps antérieurs, ont pu être le plus comprimées, le plus foulées, le plus dénuées.

Lorsqu’un pays produit dix fois plus que par le passé d’articles usuels, tels que tous ceux qui sont propres au vêtement, à l’habitation ou à l’ameublement, il n’y a pas de débouché possible à cet accroissement de production, si ce n’est que chaque famille ait pour sa part, chaque année, une plus grande quantité de ces articles. Cette conclusion devient plus assurée si, comme on l’observe dans les différens états de l’Europe et dans tous les états du monde qui sont en progrès, la majeure partie de cette production agrandie se compose d’articles destinés, non pas à une minorité d’élite ou de privilégiés, mais bien au contraire au commun des hommes, à ce que les Anglais, dans leur langue commerciale, appellent le million.

Dans les sociétés modernes, où le grand nombre reçoit sa rémunération sous la forme d’un salaire en pièces de monnaie, l’agrandissement de la part qui revient à chacun, même aux plus humbles collaborateurs, se constate d’une double manière : premièrement par la diminution continue du prix des articles manufacturés, c’est-à-dire par l’augmentation de la quantité d’articles qu’on obtient avec une somme fixe d’argent, ce qui constitue un accroissement effectif des salaires, alors même que ceux-ci se composeraient de quantités fixes d’unités monétaires ; secondement par la hausse numérique des salaires. Ce second fait est aussi frappant de nos jours que le premier, pour les ouvriers de la plupart des professions.

Quelque voile que l’ambition des princes ou l’égoïsme des classes privilégiées ait pu naguère essayer de jeter sur les idées religieuses qui soutiennent notre civilisation depuis dix-huit cents ans, de manière à en dissimuler le sens et à en affaiblir la portée par rapport aux institutions politiques et sociales, il est incontestable que, dans tous les pays chrétiens, le fond de la doctrine générale est, par son essence même, favorable à la liberté et à l’égalité. En cela, les philosophes du siècle dernier, qui ont si noblement et si énergiquement revendiqué ces deux principes, n’ont été que les disciples et les continuateurs du christianisme, dont on les a accusés d’être et dont ils se croyaient eux-mêmes les adversaires ou les ennemis passionnés. On est de même fondé à penser qu’il est de l’essence de cette même doctrine générale, dont tous les esprits sont imbus aujourd’hui, qu’elle provoque les intelligences à poursuivre l’extension des connaissances, d’où doit sortir le développement indéfini de la puissance productive et de la richesse. En fait, les peuples chrétiens ont, sous le double rapport de l’étendue des connaissances et de leur application à la production de la richesse,