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hommes d’état. Notre troupe politique n’est pas riche en premiers sujets. Les ministres que nous avons eus depuis 1852, — et le personnel n’a pas changé, — tous ceux du moins dont les aptitudes sont reconnues, MM. Fould, Rouher, Baroche, Billault, Drouyn de Lhuys, etc., sont des produits du régime parlementaire ; ils avaient déjà fait leurs preuves là où l’on pouvait, et où, pour être quelqu’un, il fallait les faire, au sein des assemblées de la monarchie constitutionnelle ou de la république. M. Thouvenel, à moins que nous ne soyons grossièrement trompés par notre mémoire, est le seul homme d’état que le présent régime ait produit. Il est arrivé jeune au premier poste par l’influence de son talent et la distinction de ses services. Dès la guerre d’Orient, il s’est révélé comme la première plume de la diplomatie européenne. Or, en diplomatie surtout, la vertu du style est inséparable de la valeur de la pensée, et la pensée, c’est l’action. Les belles dépêches de M. Thouvenel seront des pages de notre histoire. Dans l’année qui a suivi son arrivée au pouvoir, il a concouru à étouffer le germe d’une coalition et à accroître de trois départemens le territoire national. En 1861, il a tendu la main à l’Italie, courbée sur la tombe de M. de Cavour. En 1862, il a fait reconnaître le nouveau royaume par la Russie et par la Prusse. Emportant de tels souvenirs dans la retraite où le suivent des sympathies généreuses, M. Thouvenel peut attendre tranquillement l’infaillible succès des idées qu’il représente.

Il nous semble aussi que les amis de l’empereur qui essaient de donner le change sur l’importance des modifications du personnel ministériel, en prétendant que ces modifications n’entraînent aucune vicissitude dans les choses, manquent aux égards dus au chef de l’état. Il est piquant de voir comment ces orthodoxes oublient les conditions mêmes du présent régime. Ils font de l’empereur ce roi de la théorie représentative et de la fiction constitutionnelle couvert par la responsabilité de ses agens, dont la contradiction des événemens ne trouble pas la pensée immuable, et qui par conséquent ne peut jamais se tromper. Tel n’est pas l’empereur de la constitution de 1852. Cet empereur est responsable, par conséquent la loi fondamentale suppose qu’il peut se tromper, qu’il peut changer d’avis, qu’il peut se contredire, qu’en un mot ses desseins sont soumis à toutes les chances de variations et d’erreurs qui sont le lot commun de notre nature faillible. Pourquoi donc contester à l’empereur, par abus de zèle adulateur, le droit dont il s’est servi de modifier ses vues sur la marche de la question italienne ? C’est bien puérilement et bien vainement que l’on a cherché à établir une distinction, dans les derniers documens diplomatiques relatifs aux affaires de Rome qui ont été publiés, entre la lettre de l’empereur et cette conclusion de la dépêche de M. Thouvenel à M. de Lavalette qui laissait entrevoir un terme possible à notre occupation de Rome. La dépêche de M. Thouvenel n’eût point été précédée d’une lettre impériale, qu’elle n’en eût pas moins été, au moment où elle a été écrite, l’expression officielle de la pensée de l’empereur. Cette dépêche traçait à un ambassadeur français