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la perspective d’une crise ministérielle et d’un changement de politique du gouvernement français dans la question italienne. Que la substitution de M. Drouyn de Lhuys à M. Thouvenel soit la marque d’un tel changement, le fait parle si clairement qu’il y aurait du ridicule à chercher à le démontrer. On tomberait à coup sûr dans ce ridicule-là, si on se laissait agacer les nerfs par la presse officieuse psalmodiant avec une monotonie imperturbable ses adulations sempiternelles. Cette presse a fait et tient contre l’esprit français la plus irritante ou la plus bouffonne gageure qu’on vit jamais. Contrainte de tout approuver, condamnée à mettre à tous ses raisonnemens la conclusion de Pangloss et à trouver que tout est bien, elle proclame, avec un sang-froid que rien ne démonte, l’identité de toutes les prémisses. Blanc et noir, oui et non, M. Thouvenel et M. Drouyn de Lhuys, se fondent dans sa bouche en un même et constant hosannah ! C’est toujours la politique de l’empereur ; n’est-ce pas cette politique que servait M. Thouvenel et que M. Drouyn de Lhuys servira, et cette politique n’a-t-elle pas gardé le même nom, n’est-ce pas toujours la politique de la conciliation ? Ce fétichisme absolu est absurde de plus d’une façon ; nous n’en relèverons qu’une seule inconvenance : il nous paraît irrespectueux et pour les hommes qui donnent leur concours à la politique impériale et pour l’empereur lui-même. Ce serait manquer à l’estime due au caractère de M. Thouvenel et de M. Drouyn de Lhuys que d’affecter de croire que l’un et l’autre pourraient indifféremment pratiquer dans les affaires d’Italie la même politique. Ce sont surtout sous le régime actuel, et il faut le constater à leur honneur, les ministres des affaires étrangères qui ont cru devoir sacrifier leur position à des dissentimens politiques. L’honorable homme d’état qui vient de se réinstaller à l’hôtel du quai d’Orsay, M. Drouyn de Lhuys, a le premier donné l’exemple de cette estimable consistance d’opinions. Sa retraite fut si éclatante à l’issue des conférences de Vienne, pendant la guerre de Crimée, qu’on n’en a pas perdu le souvenir. Son successeur, M. le comte Walewski, ne continua point la politique que M. Drouyn de Lhuys n’avait pu faire prévaloir, et lui-même, après la guerre d’Italie, s’étant montré hostile à la politique des annexions, ne crut point pouvoir concilier la conservation de son portefeuille avec sa dignité personnelle, lorsque l’empereur prit le parti de tolérer la non-exécution du traité de Zurich. La retraite de M. Thouvenel ne peut être expliquée d’une façon différente. La lettre de l’empereur est là pour établir sans doute que M. Thouvenel n’a quitté le ministère ni en disgracié ni en mécontent, mais pour prouver aussi que l’empereur fait trop d’estime de son caractère pour avoir songé un instant qu’il pût concourir à une politique dont les allures allaient être modifiées. En tentant un essai nouveau, l’empereur a compris que M. Thouvenel devait être remplacé. Les qualités personnelles de M. Thouvenel donnent à ce changement une plus grande importance. Le régime actuel, on en conviendra, quels qu’aient été ses succès, n’a point été fécond en