Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/22

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

joug, l’homme s’est formé pour l’exercice des arts un arsenal qui tous les jours se grossit de nouveaux engins, et dans lequel viennent se ranger, comme des esclaves nouvellement acquis, des forces nouvelles. Toutes ces forces, ainsi domptées et apprivoisées pour ainsi dire, le dispensent d’employer ou du moins d’excéder sa propre force musculaire. Il surveille les appareils plus qu’il ne les tient en mouvement par une impulsion émanée de sa personne, et, à mesure qu’il travaille moins de ses membres, il produit davantage. C’est ce qui semble un miracle, mais ce que je ne saurais appeler ainsi ; car, au lieu d’une perturbation des lois de la nature, qui peut se refuser à y voir l’accomplissement des lois tracées, pour le bien de notre espèce, par la divine Providence ? La force musculaire de l’homme est ainsi réservée pour des usages à l’égard desquels les machines n’ont pas été inventées encore, ou paraissent ne pouvoir l’être ; mais alors interviennent des outils ingénieux ou des ustensiles commodes qui règlent l’emploi de cette force, de manière à soulager l’homme et à accomplir avec le moindre effort le plus grand résultat.


III. — COMMENT LE CAPITAL CONTRIBUE AU PROGRES DE LA PUISSANCE PRODUCTIVE.

Pour l’avancement de l’industrie, il ne suffit pas que l’homme soit intelligent, et que sa curiosité pénétrante ait découvert quelque chose de plus des lois de la nature. Il lui faut faire preuve d’autres qualités, d’un ordre différent et peut-être supérieur. Il lui faut de l’esprit de suite, une persévérance qui ne se rebute pas. Il lui faut autre chose encore, les facultés de l’âme qui prévoient, facultés si rares aux époques primitives, qui le portent à se priver dans le présent, afin d’avoir un meilleur avenir. Il faut, en un mot, que certaines forces morales soient associées en lui à la force de l’intelligence. C’est par là seulement qu’il a pu faire passer ses découvertes dans la réalité, c’est par là seulement qu’il s’est procuré les moyens matériels d’opérer cette sorte d’incarnation. Pendant qu’à l’aide de la science incessamment étayée de l’expérience l’homme découvrait comment il était possible de faire travailler pour lui les animaux, les forces mécaniques, chimiques et physiques, éparses dans la nature, et de donner un meilleur emploi à sa force propre, il a trouvé, dans son empire sur lui-même et dans sa prévoyance, l’art de réserver le capital, qui est indispensable pour la mise en pratique des inventions de son esprit, le capital, qui est la substance matérielle de la plupart des améliorations sociales et le nerf de l’industrie. C’est ainsi que la puissance productive de l’homme doit être représentée