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MES
HEURES DE LOISIR
SOUVENIRS FAMILIERS D'UN MEDECIN ECOSSAIS[1]


I

Notre ancêtre vénéré à l’égal d’un roi, le fondateur de notre dynastie, celui dont nous datons, est le fameux John Brown de Haddington, le père de mon grand-père. Doué d’un vouloir intense, profondément religieux des son enfance, il apprit seul, en gardant les troupeaux de son maître, tout le grec nécessaire pour lire le Nouveau-Testament dans l’original ; puis un beau soir, laissant ses brebis sous la garde d’un collègue, il franchit gaillardement les vingt-quatre milles qui séparaient de la petite ville de Saint-Andrews le domaine où il était employé. À l’heure où s’ouvrent les boutiques, il se présenta chez un libraire et demanda carrément le livre qu’il convoitait depuis longtemps. Étonné d’une telle requête formulée par un berger de cet âge, le marchand de bouquins ne pouvait se résoudre à la prendre au sérieux. Survinrent quelques habitués qui, se mêlant à la conversation, questionnèrent l’enfant sur ses études et ses travaux. L’un d’eux, piqué au jeu par les réponses

  1. Horœ Subsecivœ, by John Brown. M. D. ; — two vols. Edinburgh, Edmonston and Douglas, 1861. — Le recueil d’essais publié sous ce titre, et dont il suffisait de choisir les parties les plus saillantes pour former un intéressant tableau domestique, a valu récemment au docteur Brown une place parmi les compatriotes les plus populaires de sir Walter Scott. Ces courts récits, où la plume du narrateur rapproche habilement les souvenirs de plusieurs générations, nous font comprendre les instincts religieux, les goûts littéraires des Écossais de nos jours, et ce curieux mélange de dons opposés qui sont en équilibre chez eux, — la gravité des mœurs et la vivacité de l’esprit.