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pays une race, unique au monde, d’incomparables trotteurs, dont quelques beaux échantillons ont été rapportés en France par le prince Napoléon. Un autre goût commun aux Américains et aux Anglais est celui des combats de boxe. Heureusement la police y met bon ordre ; mais, l’état de New-York n’étant séparé que par la largeur de l’Hudson de l’état de New-Jersey, c’est sur le territoire de ce dernier que l’on va chercher ces tristes émotions. Dans l’un de ces combats, qui avait duré une heure, se succédèrent soixante-quatre de ces reprises que les Anglais appellent rounds. Les amateurs en notaient jusqu’aux moindres détails. Vainqueur et vaincu avaient perdu toute figure humaine.

On hésite à placer le théâtre au nombre des plaisirs de New-York, tant il y est au-dessous de ce qu’il devrait être dans une ville de cette importance. Cependant l’on y a parfois des hors-d’œuvre inconnus chez nous : ainsi l’on y put voir dernièrement toute une famille de millionnaires, père, mère et enfans, possédés du démon de la musique au point de débuter publiquement dans la Traviata. L’opéra de Verdi fut exécuté, mais comme on l’était jadis en place de Grève. Quant au spectacle des minstrels, si répandus à New-York et dans tous les États-Unis, il a été trop souvent décrit pour que je m’y arrête, s’il ne me rappelait une preuve curieuse de l’ardeur avec laquelle le parti religieux sait à l’occasion faire prévaloir son influence. Les minstrels n’étaient autre chose qu’une variété des cafés chantans, et des jeunes filles, qui étaient un des attraits de la soirée, y remplaçaient les garçons de service. Certes on ne peut dire qu’il n’y eût là que des rosières de Salency ; mais il ne s’y passait non plus rien d’assez inconvenant pour motiver la croisade dont ces infortunées servantes devinrent tout à coup l’objet. À voir la levée de boucliers qui se fit, on eût pu croire qu’elles allaient attirer sur New-York le châtiment des villes maudites. Un journal fut chargé de prêcher la guerre sainte, et dès que l’on crut les têtes assez montées, la suppression fut réclamée de la législature d’Albany, où elle eut l’unanimité des votes. De leur côté, les amis des pretty waiter girls n’étaient pas inactifs ; ils avaient aussi leurs journaux, leurs meetings, et même, alors que la loi se fut déclarée contre eux, ils ne se tinrent pour battus que quand les tribunaux eurent prononcé sur le litige. Le lendemain de l’arrêt, le journal du parti triomphant publiait une caricature où le diable reconduisait dans ses domaines les pauvres filles que l’on venait de terrasser, et huit jours après la moitié des minstrels fermaient leurs établissemens.

Que sont devenus aujourd’hui ces plaisirs de New-York, et quelle influence aura la guerre sur la destinée de la grande ville qui vient de nous occuper ? Il est peut-être prématuré de songer au côté salutaire