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de la cité, quelque chose comme une vaste et ignoble cour des miracles, où des masures en ruine, mal étayées de poutres branlantes, semblent parodier Atlas supportant le ciel. Pas d’églises, mais des boutiques de rhum et de gin par centaines. J’y ai vu une seule maison abriter jusqu’à 290 personnes, réparties en 76 familles, et rapporter près de 20,000 francs par an à son propriétaire. Là sont des caves privées d’air et de lumière, dont les habitans s’étiolent et meurent en quelques années, souvent en quelques mois. D’après un relevé de M. Samuel Halliday, sur 148 morts dans une même maison, on comptait 113 enfans au-dessous de sept ans, 23 enfans mort-nés, et 12 personnes de huit à vingt-quatre ans. Ce fut au centre de ce hideux quartier, au plus vif de cette misère sans nom, que vint s’établir en 1848 un ministre protestant, M. Pease, dont le nom mérite mieux que l’humble renommée qui s’y est attachée. Son but était indéterminé à dessein : faire du bien et tâcher de moraliser autour de lui, tel était le programme, et si les ressources étaient modiques, en revanche les difficultés surgissaient sans nombre. Rien toutefois n’est impossible à un cœur vaillant et dévoué, et le ciel bénit si bien ses efforts qu’en peu d’années l’œuvre fut établie dans une maison d’où rayonna sur cette fange sociale une douce et pure auréole de charité. Tout s’y trouvait, des écoles pour l’enfant orphelin ou abandonné, du pain pour l’indigent, un asile pour les femmes sans abri, pour tous du travail et de bonnes paroles[1]. En 1861, sur 781 personnes qui étaient venues frapper à cette porte hospitalière, 585 avaient été pourvues et 120 devaient l’être prochainement ; 250 enfans avaient suivi l’école, et 277,000 repas avaient été distribués aux pauvres. C’était surtout dans les campagnes de l’ouest que M. Pease cherchait à placer ses protégés, et c’est là qu’il s’est retiré quand ses forces ont trahi son dévouement ; mais l’institution qu’il a fondée repose désormais sur des bases solides, et ne peut que prospérer entre les mains de ses successeurs.

Chaque année, les associations charitables dont on vient de parler ont une séance publique où sont exposés les travaux des douze mois qui viennent de s’écouler, les besoins auxquels il faut faire face, et les ressources dont on dispose. La première semaine de mai est consacrée à ces anniversaires ; chaque œuvre a le sien, aussi bien les sociétés de bienfaisance que celles qui sont purement religieuses,

  1. Deux petites filles, deux sœurs, dont l’aînée n’avait pas six ans, s’y étaient présentées la veille de notre visite, à onze heures du soir, après avoir erré toute la journée dans les rues ; leur père les avait quittées, leur mère venait d’être envoyée à la maison de correction, et le propriétaire du taudis qu’habitaient les parens avait eu la barbarie de les jeter sur le pavé.