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n’avons parlé que de l’état de New-York, le plus riche de l’Union. On aurait pu citer celui de Rhode-Island, qui en est le plus petit, dont la population est de 150,000 âmes et le budget de 120,000 dollars, sur lesquels 85,000 sont affectés à l’enseignement. Chaque citoyen y donne ainsi pour élever ses enfans presque deux fois autant que pour l’ensemble de toutes les autres dépenses publiques ! Quel exemple analogue pourrait-on trouver chez tous les états, grands et petits, qui se partagent la carte de l’Europe ?

Nous avons mentionné les onze écoles que la ville de New-York réserve aux enfans de la classe de couleur. Ce ne sont ni les plus luxueuses ni les plus grandioses. Il semble que ce soit une dette que l’Américain règle avec sa conscience, et qu’il veuille l’acquitter au meilleur marché possible. Le directeur de celle que je visitai était noir ; mais ses élèves, au nombre de trois cents des deux sexes, étaient d’une teinte moins foncée, quelques-uns même tout à fait blancs d’apparence. On y procédait à l’inspection annuelle et à la distribution des certificats d’aptitude. « Combien 3,500 dollars à 7 1/2 pour 100 donneront-ils en six mois ? » demanda-t-on à une grande et belle mulâtresse de dix-huit ans. La mulâtresse resta court ainsi que ses voisines : un enfant américain de douze ans n’eût pas hésité ; mais le Yankee est le premier calculateur du monde, et le nègre le dernier sous toutes les latitudes. Les autres exercices furent plus satisfaisans, surtout ceux de musique. Toutefois, il faut le répéter, ces écoles font tache au milieu des autres, et déparent ce beau système d’instruction publique. La classe de couleur est assez peu nombreuse à New-York pour qu’il n’y ait aucun inconvénient à la laisser se fondre dans le reste de la population, et, fût-elle cent fois plus nombreuse, dans cette séparation qui s’étend à tous les actes de la vie usuelle, on ne reconnaît pas la ville qui se dit, après Boston, le principal soutien de l’abolition de l’esclavage. Assurément le nègre des états du nord apprécie le bienfait de la liberté ; mais on peut être convaincu qu’il saurait fort bien apprécier aussi l’avantage de voter, de pouvoir monter en omnibus, et d’envoyer ses enfans aux mêmes écoles que tout le monde. L’occasion serait des plus favorables aujourd’hui pour faire disparaître cet ostracisme aussi choquant qu’inutile.

Bien que les établissemens dont nous venons de parler soient destinés à recevoir le pauvre comme le riche, on concevra que l’on n’y voie que les enfans dont la situation est pour ainsi dire normale. La pauvreté y trouve sa place, mais non la misère, et quoique le paupérisme soit à peu près inconnu dans l’intérieur des États-Unis, où chacun peut se faire une large place au soleil, cette lèpre des grandes villes n’a pas épargné New-York. Là encore l’Américain se