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le Nord la fête du 24 juin. Les plantes médicinales dont on avait fait provision dans les familles étaient exposées cette nuit-là et gagnaient ainsi un surcroît de vertu. On étendait de grands draps sur lesquels on les étalait jusqu’à ce qu’elles eussent reçu la rosée, après quoi on les appliquait tout humides sur les plaies ou les blessures, ou bien on recueillait les gouttes de cette rosée, que l’on conservait dans des flacons pour les futures maladies. L’eau des sources devenait alors aussi plus que jamais salutaire. Toute la nature semblait réconciliée ; les influences malignes étaient détruites, il y avait trêve sur la terre et dans les airs ; c’était la fête universelle, dont les traditions légendaires et les poèmes de Shakspeare ont consacré le touchant souvenir, car nul accent n’est plus sympathique à l’homme que celui de la confiance, humaine dans l’éloignement de la souffrance, dans la paix et le bonheur[1].

Non-seulement M. Nilsson croit avoir démontré par toutes ces preuves la présence du culte de Baal dans l’ancien Nord, mais en outre il identifie ce culte avec celui qui est désigné chez les anciens Gaulois sous le nom de druidisme, ou plutôt le druidisme lui paraît en être une dégénérescence. Son principal argument ici est que les peuples Scandinaves semblent avoir pratiqué l’adoration de certains arbres et celle du gui qui pousse sur le chêne. Les tertres de Suède où l’on découvre les objets antiques en bronze sont ou ont été couverts d’une végétation abondante. Là où elle subsiste aujourd’hui, on reconnaît presque toujours des arbres perpétuellement verts. En Phénicie, on adorait le cyprès ; c’est l’if qui paraît avoir été dans la Suède méridionale l’objet d’un pareil culte. Quant au gui, personne n’ignore le rôle important qui lui est réservé dans la mythologie Scandinave. C’est à une branche de gui lancée par son frère aveugle que le bon, Balder doit sa mort. Le culte du gui occupe en outre une grande place dans le Nord parmi les superstitions populaires. Naguère encore les gens du peuple achetaient du gui chez l’apothicaire, non-seulement comme substance médicinale, mais encore comme talisman ou du moins comme préservatif contre les suites redoutables des ensorcellemens ; si le lait n’était pas bon, on mettait du gui à la corne de la vache ; si elle était malade, on en suspendait dans l’étable. Linné rapporte, dans son Voyage en Vestro-Gothie, que la croyance populaire attribuait au gui une puissance préservative contre l’incendie. De même, dans le comté de Galles, au soir de Noël, on suspend encore aujourd’hui une branche

  1. On trouvera les témoignages les plus curieux sur ce sujet dans les œuvres de Finn Magnusen, soit dans son excellent Dictionnaire de la Mythologie Scandinave (in-4°, 1828, en latin, soit dans ses mémoires divers, dans son édition de la seconde Edda, dans sa Doctrine de l’Edda (Eddalaere), etc.