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sans que les hommes aient jamais pris la peine de le cultiver. Ces noyaux, durs et pesans, gros un peu moins que le poing, ressemblent aux galets qu’on charge comme lest dans la plupart des ports, et c’est ce qui avait déterminé le capitaine à les embarquer. La douane de ce temps-là, instrument docile du système prohibitioniste, en vertu duquel on regardait comme une calamité l’entrée de toute substance étrangère, fit des difficultés pour laisser pénétrer cette noix inconnue ; à la fin cependant, l’entrée fut permise, et l’objet fut soumis à l’examen de manufacturiers qui trouvèrent que pour plusieurs destinations il pouvait remplacer l’ivoire, que pour certaines il était préférable. On lui a donné le nom d’ivoire végétal ; dans le pays d’origine, c’est le coroso. On en fait aujourd’hui des millions de boutons, et on est parvenu à le colorer de beaucoup de nuances, ce qui permet d’en varier les produits.

Mais voici un exemple plus décisif au sujet de la puissance d’extension qui est propre à l’industrie humaine. Qu’était-ce que le jute dans les manufactures européennes il y a vingt ans ? Le nom même n’en était pas connu en Europe. Un savant anglais, le docteur Roxburgh, avait bien signalé à ses compatriotes, il y a une soixantaine d’années, l’usage que les habitans du Bengale et de la Chine faisaient de ce textile ; l’avis avait passé inaperçu. Enfin, il y a quinze ou vingt ans, des manufacturiers de l’Angleterre ou plutôt de l’Ecosse se mirent à l’essayer. La conséquence a été la création d’une grande industrie qui emploie une nombreuse population ouvrière et fait la prospérité de la ville de Dundee. Les relevés officiels du commerce anglais constatent que la quantité de jute importée de l’Inde dans le royaume-uni atteint maintenant 45 ou 46 millions de kilogrammes que l’on convertit en différens tissus communs, en attendant qu’on en produise de plus fins. On en fabrique aussi des tapis dont le bon marché est presque incroyable ; en ce moment, on les vend en France, après avoir acquitté les droits d’entrée et les frais de transport, sur le pied de 1 fr. à 1 fr. 20 c. le mètre.


II. — DE LA PUISSANCE PRODUCTIVE DE L’HOMME ET DE LA SOCIETE. — SON ORIGINE. — PROGRES RAPIDES QU’ELLE ACCOMPLIT DEPUIS UN SIECLE.

Y a-t-il quelque vérité frappante qui ressorte de l’examen de l’exposition universelle de 1862 ? et surtout l’homme qui désire l’amélioration du sort de ses semblables est-il fondé à en tirer quelque conclusion consolante ?

À cette question, il me semble difficile de répondre autrement que par l’affirmative. Envisagée dans son ensemble, l’exposition atteste que la puissance productive de l’homme, de l’individu aussi bien