Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/143

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

signé une alliance dont la France est exclue, car cette alliance est dirigée contre Méhémet-Ali, le client de la politique française. Arrêtés quelque temps par le travail secret de la diplomatie, les événemens vont se précipiter. C’est le moment pour Fallmerayer de retourner à Constantinople. Il achèvera plus tard ses merveilleuses peintures de Trébizonde ; il faut reprendre aujourd’hui sa plume de guerre et jeter son cri dans la bataille.

Si Fallmerayer était un publiciste ordinaire, nous serions obligé de le traiter en ennemi, car nous le rencontrons sans cesse dans des rangs opposés à l’intérêt français. Il a détesté en Orient tout ce que nous avons aimé : ce que nous condamnons, il l’absout ; ce que nous voulons réformer, il veut le maintenir. À Constantinople et au Caire, en Grèce et en Syrie, la contradiction qu’il nous oppose est aussi complète qu’opiniâtre. Il est vrai qu’il se contredit lui-même plus d’une fois dans la fièvre qui l’agite. N’oublions pas qu’il est Allemand, et que nul n’a ressenti avec une plus cruelle amertume l’impuissance politique de l’Allemagne. Je veux indiquer tout d’abord l’enchaînement de ses idées sur les affaires d’Orient : il a écrit sur ces périlleux problèmes tant de pages amères, fiévreuses, sarcastiques, incohérentes, qu’il est difficile de le suivre, si l’on ne se rend pas compte de son inspiration première.

Fallmerayer était persuadé que le jour où la question d’Orient entrerait dans sa phase suprême, le jour où l’empire ottoman tomberait en poussière et où l’Europe serait appelée à partager ses dépouilles, l’Allemagne serait déshéritée. Qui sait même si une partie de son territoire ne servirait pas d’appoint dans le partage ? Elle tomberait donc plus bas encore dans l’échelle des nations politiques. L’Autriche et la Prusse pourraient encore tirer leur épingle du jeu ; mais cette Allemagne qui n’est ni prussienne ni autrichienne, la véritable Allemagne serait perdue ! Le grand intérêt des peuples germaniques à l’en croire, c’est donc le maintien de la Turquie. Point de démembrement de l’empire turc, point de Grèce affranchie, point de Syrie indépendante, point de pachalik héréditaire en Égypte, — tel est le programme que Fallmerayer s’est tracé dès le début, et qu’il soutient encore après les démentis que lui ont donnés les événemens. En 1827, il a combattu à sa manière l’établissement du royaume de Grèce ; historien, il se servait alors des argumens de l’histoire. En 1840, ce n’est plus seulement un historien ; c’est un voyageur, un observateur, un publiciste, et il combat avec toutes ses armes les patrons de Méhémet-Ali. Plus tard, il combattra de même les défenseurs des chrétiens d’Orient. Ainsi les trois causes que nous avons soutenues, — la cause de la Grèce revendiquant son indépendance, la cause de Méhémet-Ali s’efforçant de créer un empire et voulant compléter l’Égypte par la Syrie, la cause des chrétiens