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avec une curiosité ardente. Ce grand voyage, où il s’enrichit de tant d’idées neuves et d’observations fécondes, ne dura pas moins de trois années. La récompense qui l’attendait au retour, nous l’avons déjà indiquée plus haut ; revenu en Bavière en 1834, il apprit que sa chaire de Landshut avait été donnée à un maître moins téméraire. De tels hommes ne sont pas faciles à décourager ; Fallmerayer releva le défi d’un gouvernement inepte en achevant pour l’Allemagne cette Histoire de Morée, monument d’une science aussi hardie que profonde, et dont les fautes mêmes, on l’a vu, révèlent la libérale inquiétude du publiciste.

D’autres voyages l’occupèrent dans les années suivantes. Il vit Genève et la France du midi. Les bibliothèques et les musées de Florence, de Pise, de Rome, le retinrent longtemps captif, comme le héros de l’Arioste dans les jardins d’Alcine. En même temps que son imagination goûtait de si vives jouissances, il n’oubliait pas le grand objet de ses travaux. Les vestiges du monde oriental sont partout dans les collections savantes de l’Europe ; c’est encore là ce qui l’attirait à Paris en 1839, au moment même où éclatait un si dramatique épisode de la question d’Orient. Quand l’Europe, émue des victoires de Méhémet-Ali, résolut d’intervenir entre le sultan et le pacha, Fallmerayer ne put se résigner à vivre au milieu des chroniques poudreuses. L’histoire vivante l’appelait sur le Bosphore. Quelle occasion de juger les acteurs du drame, les acteurs chrétiens et les acteurs musulmans, les barbares et les diplomates ! Il partit de Ratisbonne le 8 juillet 1840, descendit le Danube jusqu’à la frontière ottomane, alla passer quelques jours à Constantinople, et, comme la question d’Égypte était aux mains de la diplomatie, profita de ce temps de silence pour aller visiter le pays dont il avait retrouvé les annales. « Trébizonde ! Trébizonde ! c’est le 10 août, au milieu des brumes du matin, que j’entendis retentir ce cri sur le pont du navire. Je sautai à bas de mon lit, je m’élançai sur le pont… Enfin elle était là devant moi, cette cité des Comnènes que mes rêves appelaient depuis tant d’années, et dont le nom seul avait pour moi un attrait si magique, une mélodie si douce ! » Il parcourt ces lieux, et chaque pierre lui parle, chaque débris a pour lui un sens ; il complète son étude, il compare le présent au passé, il s’assied dans la cabane du paysan et dans la cellule du moine, il interroge le raya et le pacha ; rien n’échappe à ses investigations. Que de fraîches couleurs il rassemble pour peindre les prairies toujours embaumées, les forêts toujours vertes du paradis de la Colchide ! Or, tandis qu’il prend possession de son empire en peintre et en poète, tandis qu’il recueille les notes d’un livre qui sera le complément lumineux de son histoire, le traité du 15 juillet 1840 vient d’étonner l’Europe. L’Angleterre, la Russie, l’Autriche et la Prusse ont