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Ces vues sur la disparition ou du moins sur l’altération très profonde du sang hellénique n’étaient pas absolument nouvelles. Savans et voyageurs avaient déjà soupçonné la vérité. M. Hase en 1829, apprenant que Fallmerayer travaille à une histoire de Morée, lui écrit ces paroles remarquables, — et n’oubliez pas que, dans toutes les questions relatives à l’histoire de la Grèce byzantine, l’homme dont nous invoquons ici le témoignage est l’autorité la plus haute : — « J’apprends avec plaisir, disait l’illustre maître, que vous travaillez à une histoire des révolutions du Péloponèse au moyen âge. C’est un sujet bien choisi dans un temps où les regards de toute l’Europe sont dirigés sur la péninsule, enfin délivrée du joug. Moi aussi, je suis convaincu de la justesse de vos vues. Il est plus commode assurément d’accepter les idées courantes, de n’admettre aucune interruption entre Périclès et Canaris, et de retrouver trait pour trait les anciens Spartiates dans les pirates de Maïna. Quand on étudie la question de plus près, sans parti-pris, sans se laisser étourdir par le cliquetis des mots, sans céder aux séductions de l’enthousiasme, les choses prennent un autre aspect, et les simples assertions de Constantin Porphyrogénète suffisent pour prouver qu’au VIIe, au VIIIe siècle, la population hellénique du Péloponèse avait presque entièrement disparu et avait été remplacée par des Slaves. J’ai déjà eu l’occasion, il y a quelques mois, d’exprimer cette pensée, ayant été chargé, comme secrétaire de la commission de l’Institut, de donner des instructions aux dessinateurs, géographes et philologues envoyés en Morée avec les troupes françaises. J’ai recommandé, entre autres choses, de rassembler tout ce qui concerne cette population slave du Péloponèse, population si nombreuse au moyen âge et maintenant disparue à son tour, car les Albanais qui occupent aujourd’hui l’Achaïe, l’Argolide et l’Arcadie sont une race toute différente. Je me réjouis de voir qu’en suivant chacun notre route, nous sommes arrivés au même but. » Ces lignes sont du 16 mars 1829, l’année même où un voyageur français, parcourant le théâtre de la guerre, adressait au journal le Globe une série de lettres très vives, très enthousiastes, et malgré l’intérêt le plus sincère pour la cause hellénique, affirmait avec l’autorité d’un témoin des opinions conformes à celles de Fallmerayer. Qu’on nous permette de reproduire ici une de ces curieuses pages. Bien des idées, qui deviennent de grands systèmes au-delà du Rhin, ont été aperçues d’abord, et du premier coup d’œil, par nos intelligences françaises. Fallmerayer n’avait pas encore publié le premier volume de son Histoire de Morée lorsque le correspondant du Globe écrivait du fond de la Grèce :

« La race hellénique a presque partout péri. On n’en rencontre les traits que dans le Magne et quelques îles de l’Archipel. Les exemples isolés qu’on