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les enchantemens de la nature. Le petite pâtre montagnard, devenu séminariste à Brixen, fit de solides études grammaticales dans les langues anciennes. Son maître de grec, Valentin Forer, était un brave et digne homme, instruit, consciencieux, irréprochable en toute chose ; qui sait s’il n’a pas déposé ; dans l’esprit de son élève quelques-uns des germes d’où est sortie une si riche moisson ? Fallmerayer, illustré par tant de recherches, originales sur la Grèce byzantine, a constamment gardé jusqu’au dernier jour le plus reconnaissant souvenir à son vieux maître. Il fallait pourtant autre chose que les modestes révélations de la grammaire pour occuper l’active intelligence de l’étudiant ; le catholicisme est bien défiant, bien ténébreux dans les alpes tyroliennes, et le régime du couvent de Brixen, j’entends le régime spirituel et moral, convenait peu à cette nature impétueuse. Quand le Tyrol. se souleva contre Napoléon, en 1809, Fallmerayer, trouvant l’occasion propice, quitta le cloître en secret et s’enfuit à Salzbourg. Le voilà seul, sans ressources ; que lui importe la misère, pourvu qu’il puisse enrichir son intelligence et son âme ? Il y a une bibliothèque publique à Salzbourg ; l’échappé de Brixen ne demande pas autre chose. Il donnera des leçons pour gagner sa vie, et, ses leçons terminées, il redeviendra le plus studieux des élèves, l’élève des livres qu’on lui interdisait au couvent, l’élève des grands maîtres de l’antiquité, poètes et orateurs, historiens et philosophes, sans oublier les rois de l’esprit moderne. D’ailleurs n’y a-t-il pas là encore d’autres précepteurs que les livres ? Cet ancien colonel au service de Louis XVI, ce petit prince des Deux-Ponts que Napoléon avait fait roi de Bavière, Maximilien Ier, n’avait pas été associé en vain à la France du XVIIIe siècle et de la révolution ; la Bavière se régénérait sous son règne, les, travaux de l’esprit y prenaient un libre essor, et la ville de Salzbourg, qui dépendait encore à cette date du territoire bavarois, participait à ce mouvement de renaissance. Deux savans hommes, le père Albert Nagraun et. le père de Maus, exercèrent une féconde influence sur la destinée du jeune Fallmerayer, le premier en lui ouvrant l’accès des langues sémitiques, le second en développant chez lui le goût le plus vif pour les recherches de l’histoire.

L’ardeur qui dévorait le fugitif du couvent de Brixen s’exerçait encore dans l’ordre des idées auxquelles l’avait habituée sa jeunesse monastique. Ce n’était pas le couvent qu’il fuyait, c’était le séjour des ténèbres et de la peur ; un cloître de bénédictins, une retraite studieuse au milieu des manuscrits et des livres aurait semblé à ce candide jeune homme un paradis sur terre. Il y a précisément aux environs de Salzbourg une célèbre abbaye de bénédictins, et Fallmerayer conçut le dessein d’y enfermer sa vie. Je ne sais quelles formalités, exigées par le gouvernement et auxquelles il ne put satisfaire,