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tez un mauvais cépage dans un bon cru, vous aurez un mauvais vin ; plantez un bon cépage dans un mauvais cru, vous aurez un vin meilleur. Il n’y a pas, à proprement parler, de mauvais crus, en ce sens que la vigne vient sur tous les terrains, pourvu qu’ils ne soient pas trop humides, et sur tous elle peut donner d’excellens produits quand elle reçoit les soins nécessaires. Les sols crayeux sont ceux qui paraissent le plus lui convenir ; les vignobles de Champagne, ceux de Touraine et de Saintonge sont sur la craie ; mais en même temps ceux de l’Ermitage poussent sur le granit, ceux du Médoc sur un sable quartzeux, ceux de la Côte-d’Or sur des marnes, ceux de l’Anjou sur des schistes, etc.

Il me semble seulement que M. le docteur Guyot passe un peu trop vite sur une autre question, celle du climat. Si tous les terrains conviennent à la vigne, il n’en est pas de même de tous les climats. Ne se laisse-t-il pas aussi entraîner par son imagination quand il conseille exclusivement l’emploi des plus fins cépages ? Si la quantité peut se concilier avec la qualité, tout est pour le mieux ; mais s’il est vrai, comme l’affirment les vignerons, que les plus fins cépages ne donnent qu’un faible produit, n’est-il pas à propos d’y mêler hors des grands crus des cépages plus grossiers, mais plus abondans, qui permettent de vendre à meilleur marché ? Tous les édits des ducs de Bourgogne n’ont pu empêcher l’infâme gamay, comme ils l’appelaient, de se répandre dans leurs vignes, et les plus grandes espérances de nos vignobles méridionaux reposent sur l’aramon.

Le second enseignement est relatif au mode d’exploitation. M. le docteur Guyot recommande la culture à moitié fruit. C’est dans les vignes du Beaujolais, qui figurent parmi les plus prospères, qu’il a trouvé le principal exemple de ce mode de culture. Un vigneronnage moyen se compose, en Beaujolais, de 4 hectares de vignes, de 2 à 4 hectares de prairies et de 2 à 4 hectares de terres arables, en tout de 8 à 12 hectares. Cette étendue de terre occupe et nourrit une famille de huit ou dix personnes, y compris les domestiques. M. le docteur Guyot estime les produits à 50 hectolitres de vin par hectare, au prix moyen de 30 à 40 francs, ou de 6,000 à 8,000 francs en tout à partager entre le métayer et le propriétaire. Je crois ces chiffres exagérés pour une moyenne, même en Beaujolais ; en les réduisant d’un tiers, on trouve encore de 2,000 à 3,000 francs par an pour chacune des deux parts, sans compter les petits profits qu’on retire des prairies et des terres arables, en sus du fumier pour les vignes. C’est là un très beau résultat, et qu’il serait fort désirable de voir multiplier partout où les mêmes conditions peuvent se reproduire. Une partie de nos vignes est déjà le domaine de la petite propriété, et ce n’est pas la moins bien cultivée et la moins productive. Cette culture est une de celles qui occupent le plus de bras et qui peuvent le mieux les rémunérer, quand elle réussit ; on voit dans l’Hérault les ouvriers se payer 1 franc l’heure de travail, car on y travaille souvent à l’heure.

Au moment où M. le docteur Guyot préconisait, d’après l’exemple du Beaujolais, le métayage appliqué à la culture de la vigne, un secours inattendu est venu confirmer son opinion. M. de Guimps, président de la société d’agriculture de la Suisse romande, a écrit au Journal d’Agriculture pratique pour lui signaler les produits extraordinaires obtenus des