Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/1016

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’imbécillité gratuite dont M. Augier a orné les hommes politiques de sa pièce. Qui peut reconnaître une peinture réelle du parti clérical, si riche en vigoureux écrivains et en voix éloquentes, dans ce comité de niais qui emprunte, pour dresser son manifeste, la plume d’un vil pamphlétaire, et qui songe un moment à confier à un Orgon le débit de cette prose ? Si l’on veut récriminer contre l’auteur, convenons que tous les partis ont à se plaindre des fantoccini de la pièce. Il ne s’y trouve qu’un démocrate, Giboyer lui même, et celui-là fait métier de vendre sa plume. Il est vrai que Giboyer n’est pas seulement en théorie le plus pur des démocrates, qu’il est aussi le plus dévoué des pères, et que c’est en l’honneur du sentiment paternel qu’il commet ses infamies. M. Augier est apparemment de l’avis de M. de Talleyrand, qui disait un jour en souriant : « Ne me parlez pas des pères de famille, ils sont Capables de tout ! » Mais ce n’est point notre métier de chercher chicane à M. Émile Augier. Nous qui, en politique, aurions volontiers rangé cet aimable esprit dans la congrégation indolente des pococuranti, nous avons été surpris de l’amertume et de l’âpreté de sentimens que révèle le Fils de Giboyer. M. Augier a une haine vigoureuse, et c’est la haine du parti clérical. Le symptôme politique de sa pièce, c’est le succès qu’elle obtient. En cela, M. Augier a été servi par le revirement de notre politique sur la question romaine. Si sa pièce eût été jouée avant cette péripétie, au moment par exemple où M. de Persigny publiait sa circulaire sur la société de Saint-Vincent-de-Paul, il n’eût pas pu s’excuser, comme il fait aujourd’hui, de tirer par la jambe ceux qui escaladent le char de triomphe. Hélas ! ces pauvres cléricaux sont bien innocens de leur triomphe ; ils n’en ont certes pas été moins surpris que nous, et ils n’étaient pas de force à escalader le char, si on ne leur eût tendu la main. Ils auront bientôt à se présenter devant un autre parterre que celui d’un théâtre, suspendus ainsi entre la main qui les enlève et la main de M. Augier cramponnée à leurs talons. Agréable et flatteuse posture, tableau vivant où nous aimons à n’avoir point de rôle, résumé expressif et pittoresque d’une situation qui n’est point faite, ce nous semble, pour porter bonheur au pouvoir temporel dans les prochaines élections !

Cette date des prochaines élections marque un relais forcé pour la question romaine. Les Italiens ne peuvent mieux faire que de prendre leur parti de cette période d’attente qui leur est imposée. Les Italiens n’ont d’ailleurs plus le droit d’être impatiens. La chute du ministère Rattazzi est pour eux la fin d’une phase de perplexités. Lancés vers Rome par M. de Cavour dans l’effervescence qu’excitait la série d’événemens extraordinaires qui venaient de s’accomplir, arrêtés dans leur aspiration par la mort de cet homme d’état, bientôt las de voir M. Ricasoli, l’homme qui avait le plus énergiquement épousé cette passion nationale, impuissant à obtenir quelque chose de la France, ils avaient cru que M. Rattazzi, mieux vu par la cour des Tuileries, pourrait plus facilement satisfaire leurs espérances. L’insuccès de M. Rattazzi, sans changer leur conviction et leurs tendances à l’endroit de Rome, a dû