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recrues, et avec ce patriotisme sans scrupule qui les fait subordonner toute espèce de sens moral à l’accomplissement d’un dessein politique, les Anglais ont laissé marcher la candidature du prince Albert jusqu’au moment de l’élection, et se sont réservé le droit de s’en faire une arme contre d’autres plus sérieuses. Il est permis de dire que, depuis le commencement jusqu’à la fin, cette candidature a été une comédie; il n’y a pas un seul Anglais doué de bon sens qui l’ait regardée comme sérieuse, pas un qui en ait désiré le succès.

En premier lieu, la constitution grecque impose au roi l’obligation d’embrasser la religion du pays. En France, où l’on n’attache que très peu d’importance à ces questions, on ne paraît point se douter de l’effet que produirait en Angleterre la conversion, ou, comme on dirait, la perversion d’un prince de la famille royale à une religion étrangère; mais on peut être sûr que ce seul fait serait la source d’un scandale qui rejaillirait jusque sur la couronne. Admettant toutefois que cette condition fût écartée ou abrogée par les Grecs eux-mêmes, les Anglais n’en seraient pas plus empressés de placer un de leurs princes sur un trône étranger. Les Anglais aiment à ne dépendre que d’eux-mêmes, et ils ont une répugnance instinctive à se trouver entraînés dans des complications qui n’intéressent que les dynasties. C’est avec un sentiment de soulagement qu’ils se sont vus débarrassés du Hanovre, et ils ne tiennent aucunement à le remplacer.

Mais il y a une raison, par-dessus toutes les autres, pour laquelle l’Angleterre ne voudra jamais contracter aucun engagement envers la Grèce : c’est que la politique anglaise a pour base, a pour dogme la conservation de l’empire ottoman.

C’est, nous le croyons, une grande erreur d’imaginer que l’Angleterre, la perfidie anglaise, les intrigues anglaises, sont pour quelque chose dans les agitations de l’Orient, et en particulier dans la révolution grecque. La vraie politique anglaise, c’est le maintien de l’immobilité en Orient. Tout ce qui remue en Orient la dérange. Assise au chevet de ce célèbre moribond dont parlait l’empereur Nicolas, l’Angleterre entretient dans son empire la température d’une chambre de malade, y met des bourrelets et des tapis, en éloigne le bruit et les courans d’air. On prête à l’un des Pitt ce mot : « Je ne discute pas avec un homme qui n’admet pas que le maintien de l’empire ottoman est une question de vie et de mort pour l’Angleterre. » Les Anglais n’ont pas changé : ces grands propagateurs de bibles n’hésitent pas à se faire en Orient les conservateurs du Coran. Voilà pourquoi un roi anglais n’est pas possible en Grèce; c’est comme si les Grecs prenaient un fils ou un frère du sultan. Quand bien même le vote populaire se prononcerait pour le prince Alfred,