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ce ne sont pas comme œuvres d’art les plus beaux de la ville, et la voie n’est pas si large qu’on puisse reculer assez pour voir en perspective leurs lourdes façades. Cette rue enfin a l’air riche et animé. On s’y croit bien dans le quartier des affaires et des plaisirs. La circulation est toujours fort active, les équipages ont quelquefois assez bonne mine. Point d’autre rue à Rome où l’on retrouve les signes de la civilisation moderne. Seulement rien n’est à remarquer dans le genre sérieux, rien du passé enfin, si l’on ne rencontrait sur la droite la place Colonna. C’est la disposition de la place Louvois sur la rue Richelieu, avec une fontaine qui ne fait nul tort assurément à l’œuvre de Visconti ; mais au centre une colonne de marbre donne son nom à la place. C’est la colonne Antonine. Érigée en l’honneur de Marc-Aurèle, elle rappelle la colonne Trajane, dont elle nous donne un avant-goût. Elle en offre à peu près les dimensions, mais elle lui est inférieure pour les proportions et les sculptures, et le temps l’a dégradée davantage. Sur le piédestal, changé par Fontana, on lit que Sixte-Quint a purifié de toute idolâtrie ce monument qu’il croyait dédié à Antonin le Pieux. En conséquence, une statue de saint Paul couronne la colonne Antonine, comme une statue de saint Pierre la Trajane. Il ne faut pas trop nous formaliser de cette purification, sans laquelle nous n’aurions peut-être pas conservé ce monument d’une gloire et d’une vertu païennes. Où serait le Panthéon d’Agrippa, si Boniface IV n’avait eu l’heureuse idée d’en faire, il y a quatorze cents ans, l’église de tous les martyrs ?

Au bout du Corso, on trouve la place de Venise. C’est une de celles en petit nombre qui, dérogeant à l’air un peu bourgeois dès quartiers habités, offrent une apparence assez aristocratique. Elle le doit au palais de Venise, qui ressemble à une forteresse, position militaire occupée en conséquence par l’ambassade d’Autriche. On passe de là par un ou deux bouts de rues assez boueuses, et sans s’arrêter devant la coquette et pimpante église des Jésuites, qui ont là comme partout quelque chose d’analogue pour le style à la chapelle de Versailles, on débouche sur une place ou grande rue courte, et irrégulière fermée par deux escaliers en perron soudés obliquement l’un à l’autre. C’est la place d’Ara-Coeli. Un des escaliers monte à l’église de ce nom, et l’autre au Campidoglio[1]. Ce nom burlesque est la parodie de celui de Capitole, et à ce mot nous nous hâtons d’ouvrir le premier volume de M. Ampère.

Mais c’est ici que les mécomptes, les doutes et surtout les perplexités commencent. C’est ici que l’on reconnaît combien il a fallu d’ingénieuse et patiente sagacité pour retrouver sur les flancs de

  1. Champ d’huile.