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maîtresse de l’Orient ; elle le manie à son gré. Pourquoi ne profite-t-elle pas de sa toute-puissance pour se préparer un Orient qui lui soit reconnaissant de sa régénération ? Pourquoi ferme-t-elle volontairement les yeux à cet Orient chrétien qui s’élève chaque jour? Ses commerçans et ses économistes voient cette croissance et s’en accommodent au lieu de s’en fâcher. Quand ses hommes d’état auront-ils la clairvoyance de ses marchands? Lord Palmerston traitait dernièrement M. Cobden avec beaucoup de hauteur; il ne lui disait pas tout à fait comme dans les Plaideurs :

Bonhomme, allez sarcler vos foins!

mais il lui disait d’aller s’occuper de ses toiles et de ses aunages, comme n’étant pas capable de s’occuper de politique. Je ne sais si je me trompe; mais les manufacturiers et les commerçans anglais sont en train pour l’Orient de donner aux hommes d’état de leur pays une grande leçon de prévoyance et de sagesse. Ils comprennent en Orient la marche du temps et des choses; ils y aident au lieu de chercher à la contrarier.

Le livre de M. Farley, l’aveu qu’il fait sans hésiter de la part que les Grecs ont au commerce de l’Orient, de leur influence favorable à l’Angleterre au lieu de lui être contraire (aveu important dans la bouche d’un Anglais, et qui témoigne que l’Angleterre commence à changer d’opinion sur l’Orient et sur la place qu’il faut y faire aux populations chrétiennes), la portée de ce fait et de cette opinion nouvelle, tout cela m’a détourné de la Syrie et de l’étude que je voulais faire des difficultés du règlement de 1861, des querelles que la Porte-Ottomane s’y est faites depuis un an, de l’anarchie qu’elle y entretient par calcul ou par impuissance, car en Syrie comme en Serbie la Porte-Ottomane, se fiant en l’appui de l’Angleterre, a pris partout l’offensive. Je reviendrai donc sur l’état de la Syrie, et je joindrai à cette étude quelques détails sur ces Grecs de l’empire ottoman que M. Farley signale à l’attention et à la bienveillance intelligente de l’Angleterre, tandis que lord Palmerston et le foreign office les signalent avec une malveillance routinière à la jalousie et à la haine du peuple anglais; je dirai aussi quelques mots de l’état des populations arméniennes de l’empire ottoman. Ces renseignemens sont nécessaires pour achever de faire comprendre la question d’Orient en 1862.


SAINT-MARC GIRARDIN.