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c’est, grâce à Dieu, chose impossible de nos jours. La Turquie en décadence comme elle est ne peut pas plus servir à l’Angleterre qu’au reste de l’Europe; la Turquie restaurée humainement et chrétiennement par l’Angleterre ne servirait pas seulement à l’Angleterre, elle servirait à toute l’Europe.

Si je voulais prendre le livre de M. Farley pour le manifeste d’une nouvelle doctrine de l’Angleterre sur la Turquie, je dirais volontiers qu’il y a en ce moment deux tentatives anglaises de restauration pour la Turquie. Il y en a une qui est toute politique et toute diplomatique; celle-là, je la combats obstinément au nom de l’humanité et de la religion chrétienne, au nom de l’intérêt européen, que je ne sépare en aucune manière de l’intérêt anglais; c’est celle que lord Palmerston a entreprise depuis 1840. Il y a une autre tentative anglaise de restauration de la Turquie, restauration agricole, industrielle et commerciale, dont le but et les moyens sont tout différens de ceux qu’emploie la restauration politique. Je pourrais énumérer les nombreuses différences qui distinguent ces deux tentatives de restauration. Je me contente de signaler les deux principales, celles qui sont le plus caractéristiques et qui ont le plus de conséquences : l’emploi en Turquie des Européens, et l’emploi des chrétiens d’Orient.

La restauration politique, celle de lord Palmerston et de sir Henri Bulwer, occupée avant tout du soin de maintenir le gouvernement turc, en améliorant, s’il est possible, son administration, n’emploie les Européens que dans l’administration. Elle semble même parfois les y craindre, et cela tient à deux circonstances importantes : elle trouve peu d’Anglais pour entrer dans l’administration turque. L’Anglais n’est pas né pour l’administration dans le sens que nous donnons à ce mot en France. L’Angleterre ayant le malheur ou le bonheur d’ignorer l’administration, l’Anglais n’a pas le génie paperassier : il n’est pas propre aux bureaux, il a pour cela trop d’initiative et d’activité individuelle. Faute d’Anglais, la restauration politique dirigée par sir Henri Bulwer est forcée d’employer des Allemands, des Français, des Italiens, et elle s’en défie plus ou moins. Ils ont d’autres idées, d’autres intérêts que ceux de la restauration politique; de plus, ils n’aiment pas l’Angleterre, qui en général ne sait pas se faire aimer. J’ajoute qu’ils ne sont point favorables à une restauration dont le principe est de laisser les Turcs à la tête de tout, et de ne se servir des Européens que dans les rangs et les emplois secondaires.

Hors de l’administration, c’est-à-dire dans l’agriculture, dans l’industrie, dans le commerce, dans les routes à ouvrir, dans les canaux à creuser, dans toutes les grandes entreprises enfin, la res-