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pénétrer. Grâce à ce privilège, ce ne sont pas seulement les femmes qui y sont en sûreté, ce sont aussi les richesses qu’elles portent. M. Farley regrette que tant de capitaux soient de cette manière distraits de la circulation; mais il s’en prend à l’administration turque de ce défaut de confiance, et il a raison. Il y a là un des symptômes curieux de l’état général de la Turquie et de l’état particulier de la Syrie.

Je dois dire maintenant en deux mots pourquoi j’ai fait cette citation du nouvel ouvrage de M. Farley.

D’abord cette citation concerne la Syrie, et il est curieux de savoir quel est l’état de ce pays depuis que l’Angleterre a voulu qu’il fût rendu à la Turquie, il est curieux surtout de le savoir de la bouche d’un Anglais. J’attache, on le sait, un très grand prix aux témoignages des Anglais sur la Turquie; ils ne sont pas suspects, car la plupart des Anglais sont favorables à la Turquie, et lorsqu’ils déposent contre elle, on peut avoir foi en leurs paroles. Tout favorables qu’ils sont à la Turquie, les Anglais sont en général de fidèles serviteurs de la vérité : ils peuvent se tromper, ils peuvent avoir leurs préjugés, mais ils n’aiment pas à répéter des consignes mensongères; ils sont, fonctionnaires ou non, fort indépendans, et ils ont beaucoup d’initiative. C’est là ce qui fait qu’en dépit des efforts de lord Palmerston pour cacher la vérité à l’Angleterre sur l’état de la Turquie, j’espère toujours que la vérité se fera jour, et que l’Angleterre comprendra bientôt quelle politique inhumaine et désastreuse on lui fait suivre en Orient. Elle y gagne la haine des chrétiens d’Orient, et elle y compromet l’avenir de son commerce. Elle y favorise la corruption, la cruauté, la persécution, et son industrie n’y débite pas plus de marchandises. Elle n’y fait pas son salut et elle n’y fait point fortune.

M. Farley est un de ces Anglais chaque jour plus nombreux, grâce à Dieu, qui essaient d’éclairer l’opinion de l’Angleterre sur la mauvaise politique que son gouvernement suit en Turquie : non que je veuille faire ici de M. Farley un de ces rêveurs sentimentaux qui ne songent, comme moi, qu’à la régénération de l’Orient par l’Orient, et qui se préoccupent peu des intérêts commerciaux et industriels de l’Occident; non que M. Farley soit en Angleterre un homme de parti ou un ennemi politique de lord Palmerston. M. Farley, à prendre son livre sur les Ressources de la Turquie et les autres ouvrages qu’il a publiés sur l’Orient, n’est ni un rêveur ni un homme de parti. C’est un économiste, un financier, un statisticien qui songe surtout aux intérêts de l’Angleterre, qui voit dans la Turquie un pays mal gouverné, mal administré, mal défendu contre l’anarchie intérieure et contre les pillards du dehors, un pays sans