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même coup l’Autriche, ce qui rendait Venise à l’Italie. C’était prendre évidemment le plus long. Je ne sais pas non plus ce que, dans ce plan d’insurrection orientale, devenaient les Iles-Ioniennes, et s’il leur était permis de s’annexer, comme elles le veulent, à la Grèce. L’Angleterre, qui a deux cliens, la Turquie et la révolution italienne, n’a pas voulu qu’un de ses cliens attaquât l’autre; elle n’a pas voulu que Garibaldi se fît le libérateur des nationalités qu’elle violente à Corfou et qu’elle combat en Serbie, en Bulgarie, en Macédoine, en Thessalie et en Épire. Garibaldi s’est donc rabattu sur Naples pour pousser Naples sur Rome, et il a oublié le Monténégro et la Serbie; mais dans le Monténégro et dans la Serbie le contre-ordre de Garibaldi n’est pas arrivé à temps ou n’a pas été obéi. De là, selon les personnes dont je rapporte l’opinion, les mouvemens qui ont éclaté dans les pays slaves, et dont le général hongrois Klapka a reproché publiquement à Garibaldi la conception et l’avortement[1] ; de là aussi le mécontentement de la France contre une fermentation plutôt révolutionnaire que chrétienne, plutôt italienne qu’orientale; de là le silence désapprobateur que le Moniteur a gardé cette fois envers le Monténégro.

Je donne cette explication comme elle m’a été donnée, et sans y attacher une grande importance ; elle me semble avoir pris des conversations de sociétés secrètes pour des plans arrêtés et en voie d’exécution. Je laisse donc de côté cette façon d’expliquer le silence du Moniteur. Il y a, selon moi, une manière beaucoup plus simple de comprendre pourquoi le Moniteur n’a pas cru devoir en 1862 dire un mot pour l’indépendance du Monténégro : c’est qu’il avait dit ce mot en 1858, et que, ne l’ayant pas rétracté, il n’avait pas à le répéter. J’ajoute que la Porte-Ottomane, quoique dans ses instructions elle parlât de la principauté comme d’une administration particulière, avait soin cependant de déclarer « qu’elle n’avait aucune intention tendant à modifier le statu quo dans la montagne, relativement à son administration et à son territoire[2]. » L’indépendance du Monténégro n’était donc pas expressément mise en question dans

  1. « Les Serbes, les Grecs, les Monténégrins ont cru devoir répondre à un appel comme celui que vous venez de nous adresser. Ils devaient être appuyés dans leur mouvement; je crois même qu’ils vous attendaient. Quelle belle occasion vous avez manquée de continuer ce rôle de libérateur que vous avez commencé avec tant d’éclat! Le sort de tous ces peuples trahis dans leurs espérances ne nous réconcilie pas avec l’oppression, mais nous engage à ménager nos forces pour des circonstances plus favorables. » (Lettre du général Klapka en réponse à la proclamation de Garibaldi aux Hongrois, août 1862.)
  2. Précis des instructions adressées par le grand-vizir à Omer-Pacha, sous la date du 9 avril, concernant le Monténégro, et communiquées aux grandes puissances. Archives diplomatiques, juillet 1862, n° 7.