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quelque gracieux édifice. Jusqu’à nos jours, les antiquaires s’étaient évertués à retrouver son histoire, à lui assigner une origine. Les hypothèses avaient succédé aux hypothèses, sans parvenir à lui assurer un nom, car on aimait mieux alors chercher les monumens dans les livres que de creuser la terre où ils étaient à demi enfouis. Lord Byron s’écriait devant ce marbre mystérieux : « Cicéron n’était pas aussi éloquent que toi, toi colonne sans nom, à la base ensevelie ! » Et, touchée de ses vers, la duchesse de Devonshire donna le peu de livres sterling qu’il fallait pour déterrer le soubassement. Quelques coups de pioche mirent au jour un piédestal élevé sur des marches grossièrement faites, et on lut sur le socle que cette colonne votive, arrachée de quelque temple, avait été dédiée à Phocas par l’exarque Smaragdus. Un témoignage d’adulation avait été adressé, à travers la Méditerranée, à l’empereur de Byzance dans Rome, qui ne lui obéissait plus, et même quelque flatteur économe, tirant parti du monument tout fait, avait rayé le nom de Phocas pour le remplacer à propos par le nom d’Héraclius.

Voilà les déceptions auxquelles on est exposé dans les ruines de Rome. Je voudrais, afin de donner quelque idée de l’art dont M. Ampère a dû faire preuve pour les éviter, essayer de tracer une image un peu fidèle, sans parure et sans voile, du spectacle qu’offre Rome à celui qui y arrive plein de curiosité et de bonne volonté, mais muni pour tout savoir, comme nous tous, d’un souvenir fort effacé du De Viris illustribus, amplifié par le récit traînant et naïf de notre ami à tous, l’excellent Rollin.


II

Le lecteur me permettra-t-il de supposer que nous faisons ensemble en prenant sur nous, avec un guide du voyageur, les volumes de M. Ampère, notre première visite au berceau de Romulus ? Nous sommes, si l’on veut, arrivés par le nord, et, après avoir parcouru cette célèbre campagne romaine, il nous a fallu suivre, entre deux murailles ou deux lignes de bâtimens sans caractère et de villas sans élégance, un long faubourg insignifiant qui nous conduit à la lourde porte del Popolo. C’est l’ancienne porte Flaminia. La rue en face est dans la direction de la voie Flaminia, longeant le champ de Mars à travers la plaine qui, bornée à l’ouest par le Tibre, s’étend au bas du Pincio, du Quirinal, du Viminal et du Capitolin. Que voyons-nous d’abord ? Une grande et belle place qui ne sent aucunement sa vieille ville. À droite de la porte est le bâtiment de la douane, à gauche Santa Maria del Popolo, dont le portail n’annonce ni ne vaut le curieux intérieur. En face et au milieu se