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paix est impossible. Comment vouloir que le feu réside à côté de la poudre et qu’il n’y ait pas de temps en temps des explosions? Cependant l’amphictyonat de Constantinople n’a rien décidé sur cette question de Belgrade. Il a accordé, dit-on, aux Serbes que les Turcs ne pourraient résider que dans l’enceinte des forteresses; mais le faubourg musulman de Belgrade est-il compris dans cette enceinte? Il a de plus, dit-on encore, cédé aux Serbes deux forteresses de l’intérieur du pays, forteresses qui tombaient en ruine et que je ne vois pas citées une seule fois dans les documens serbes comme ayant été l’occasion de la moindre difficulté. Cette concession des deux forteresses de Soko et d’Oujitza n’a pour la Serbie qu’un avantage : c’est un précédent, et puisque l’amphictyonat européen de Constantinople a pu décider sur Soko et sur Oujitza, il pouvait et il pourra décider sur Belgrade.

Les Serbes demandaient, si l’on ne voulait pas leur remettre la citadelle de Belgrade, qu’au moins on la démolît. On a démoli dans les principautés du Danube les forteresses turques, et cette démolition a consacré l’autonomie des principautés. Pourquoi ne pas faire de même pour la Serbie? Craint-on de rendre les Serbes trop forts en leur donnant une citadelle? Eh bien! qu’on ne la donne à personne; qu’on la détruise! Les Serbes ont des citadelles naturelles pour défendre leur liberté : ce sont leurs montagnes et leurs forêts; ils s’en contentent. Ils ne souhaitent donc pas d’avoir Belgrade, mais ils demandent que Belgrade ne soit plus entre les mains de leurs vieux ennemis, depuis surtout que ces vieux ennemis ne gardent plus cette citadelle comme un dépôt ou comme un souvenir, mais qu’ils s’en font une menace et un instrument de ruine. Pourquoi ne pas profiter de cette occasion pour rendre sur ce point au Danube et à la Save leur liberté naturelle? Si l’on pouvait ôter au Bosphore sa force stratégique, peut-être l’Europe le ferait de grand cœur pour alléger la question d’Orient d’une de ses plus graves difficultés. Ce que l’Europe ne peut pas faire pour le Bosphore, elle le peut pour le Danube : en démolissant Belgrade, elle supprime la question serbe. Or n’est-il pas de son intérêt de supprimer le plus qu’elle peut de questions litigieuses? Chaque litige de moins est une chance de paix de plus.

Si j’avais à caractériser les conditions que l’amphictyonat de Constantinople a faites à la Serbie et l’attitude nouvelle qu’elles donnent à cette principauté, voici les réflexions que je ferais. D’abord la Serbie, grâce à la conférence diplomatique de Constantinople, est entrée plus avant qu’elle ne l’avait fait jusqu’ici dans le concert européen. C’est une des conséquences du traité de 1856, qui a fait entrer la Turquie et ses états secondaires dans le cercle des rela-