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torien, non en croyant. Il n’est chrétien que par souvenir et poésie. Chez lui, l’esprit moderne déborde avec calcul du vase étroit où par calcul il semble s’enfermer. Le penseur perce derrière le conteur. A chaque instant, un mot voulu, qui paraît involontaire, ouvre par-delà les voiles de la tradition les perspectives de la philosophie. Qui sont-ils ces personnages surnaturels, ce Dieu, ce Méphistophélès et ces anges? Leur substance incessamment, va se dissolvant et se reformant, pour montrer et cacher tour à tour l’idée qui l’emplit. Sont-ce des abstractions ou des personnes? Ce Méphistophélès révolutionnaire et philosophe, qui a lu Candide et gouaille cyniquement les puissances, est-il autre chose parfois que « l’esprit qui nie? » Ces anges « qui se réjouissent de la riche beauté vivante, que la trame incessante de l’être vient envelopper dans les suaves. liens de l’amour, qui fixent en pensées stables la vapeur onduleuse des apparitions changeantes, » sont-ils autre chose, pour un instant du moins, que l’intelligence idéale qui, par la sympathie, arrive à tout aimer, et par les idées à tout comprendre? Que dirons-nous de ce Dieu, d’abord biblique et personnel, qui peu à peu se déforme, s’évanouit, et, reculant dans les profondeurs derrière les magnificences de la nature vivante et les splendeurs de la rêverie mystique, se confond avec l’inaccessible absolu? Ainsi se développe le poème entier, action et personnages, hommes et dieux, antiquité et moyen âge, ensemble et détails, toujours sur la limite de deux mondes, l’un sensible et figuré, l’autre intelligible et sans formes, l’un qui comprend les dehors mobiles de l’histoire et de la vie, et toute cette floraison colorée et parfumée que la nature prodigue à la surface de l’être, l’autre qui contient les profondes puissances génératrices et les invisibles lois fixes par lesquelles tous ces vivans arrivent sous la clarté du jour[1]. Enfin les voilà, nos dieux; nous ne les travestissons plus, comme nos ancêtres, en idoles ou en personnes; nous les apercevons tels qu’ils sont en eux-mêmes, et nous n’avons pas besoin pour cela de renoncer à la poésie, ni de rompre avec le passé. Nous restons à genoux devant les sanctuaires où pendant trois mille ans a prié l’humanité; nous n’arrachons pas une seule rose aux guirlandes dont elle a couronné ses divines madones; nous n’éteignons pas une seule des lampes qu’elle entassait sur les marches de son autel; nous contemplons avec un plaisir d’artiste les châsses précieuses où, parmi les candélabres ouvragés, les soleils de diamans, les chapes resplendissantes, elle a répandu les plus purs trésors de son génie et de son cœur. Mais notre pensée

  1. Wer ruft dus Einzelne zur allgemeinen Weihe,
    Wo es in herrlichen Accorden schlägt?