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Téthys aux yeux bleus. Une sorte de petit débarcadère façonné au fond, un assez large couloir dont l’extrémité est fermée par une pierre de forme rectangulaire qui paraît avoir été placée là de main d’homme, semble indiquer qu’elle fut visitée des anciens; on prétend même qu’une route souterraine conduisait jadis jusqu’aux villas romaines bâties sur le territoire actuel de Damacuta. A la rigueur, le fait est possible, mais je le crois singulièrement douteux.

A propos du phénomène lumineux qui se produit dans cette grotte, on a beaucoup parlé de réfraction, de réflexion, de transmission; je n’en dirai rien, car je suis fort incompétent en si sérieuse matière : je dirai seulement, en employant l’expression que M. Niepce de Saint-Victor a consacrée dans ses admirables travaux sur l’héliographie, que la lumière paraît emmagasinée au sein même des flots qui baignent la grotte; la mer est profondément pénétrée par la lumière à l’entrée de la caverne, sans doute à cause de la disposition particulière de cette entrée; elle est comme saturée de cette lumière, et la jette en nappes d’azur éclatant jusqu’aux derniers replis de la voûte. Ce qui tend à le prouver, c’est que les corps plongés dans cette eau féerique deviennent blancs à l’instant même. La voûte, formée de calcaires blanchâtres, est teinte en bleu, comme si un foyer lumineux placé au-dessous d’elle lui envoyait ses rayons à travers un cristal d’azur.

Après avoir franchi la pointe di Vitareto, qui forme l’angle nord-ouest de l’île, j’arrivai au lieu que le général Lamarque avait choisi pour débarquer. C’est une anse si étroite, si petite, que quatre barques de pêcheurs y seraient mal à l’aise. Quand on se rappelle le vent d’ouest qui soufflait alors et qui grossissait la mer, on comprend difficilement que des hommes aient tenté cette aventure, qui eût effrayé des singes. Ils réussirent cependant, et l’on voit de là le large plateau qui monte en pente dure jusqu’aux plus hautes sommités de Monte-Solaro. Çà et là, dans des fentes de rochers, sur des saillies élevées à donner le vertige, on aperçoit des ruines de tourelles qui semblent accrochées à la falaise comme un colimaçon contre un mur.

Après avoir doublé la pointe di Carena, nous côtoyâmes la face méridionale de l’île, et, si j’ose parler ainsi, je dirai que le paysage change immédiatement. C’est là que sont les plus hautes falaises, les plus abrupts rochers; mais le vent du sud y a jeté des semences qui ont germé dans les fissures où quelques parcelles de terre végétale ont pu se réunir. Il y a des plus laryx tordus par le vent et appliqués par lui contre la paroi hospitalière; il y a deux ou trois touffes de palmiers nains dont la graine, apportée des sirtes d’Afrique sur l’aile de la brise, est venue reprendre vie sur ce nouveau désert ; au