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bitée de l’île, est formée par le soulèvement du mont Solaro, qui s’élève d’un jet à dix-huit cents pieds au-dessus de la mer dans laquelle il baigne ses pieds. Du côté de la campagne, où s’éparpillent les maisons voisines de Capri, la montagne descend à pic par des flancs abrupts qui constituent un rempart de rochers haut de 300 mètres. De la mer, aucun lieu de débarquement praticable ne conduit vers la petite ville d’Anacapri, dont le nom de formation grecque indique suffisamment l’origine. La Marine de Capri est donc aussi celle d’Anacapri, où l’on se rend par une pente de larges paliers qui aboutit à un escalier de cinq cent trente-six marches composées de degrés taillés dans le roc ou de pierres rapportées. Cet escalier déploie ses longs zigzags au flanc même du rocher qui domine la mer; un mur à hauteur d’appui lui sert de garde-fou et l’empêche d’être absolument un précipice. Une petite chapelle dédiée à saint Antoine de Padoue en indique le milieu, et un large banc, appuyé contre la roche, invite à un repos nécessaire avant de reprendre cette ascension, que le vent rend parfois dangereuse, et le soleil toujours fatigante. Les femmes d’Anacapri vont et viennent lestement sur ces interminables escaliers, où ne glissent pas leurs pieds nus. Ce sont elles, comme dans l’île entière, qui portent les fardeaux; j’en ai suivi longtemps des yeux une qui soutenait en équilibre une commode sur sa tête, et qui gravissait les degrés avec une ferme rapidité que je lui enviais. Arrivé à son point culminant, l’escalier passe sous deux portes, entre lesquelles un pont-levis, aujourd’hui privé de ses chaînes, pourrait au besoin se relever et faire un vide infranchissable ; quelques meurtrières, ouvertes dans le pan de muraille qui accompagne les portes, complètent ce système de défense, qui jamais, je crois, n’a encore été mis à l’épreuve; il n’a même pu servir en 1808 contre les Français, car c’est à revers qu’ils avaient attaqué la position d’Anacapri. L’ensemble de l’escalier est dominé et commandé par un fortin muni d’une poudrière qu’on a justement appelé Capo di monte ; maintenant c’est une ruine. La crainte des pirates et l’épouvante qu’inspiraient leurs incursions inopinées sur les côtes où ils venaient enlever les habitans, qu’ils allaient ensuite vendre sur les marchés de l’islamisme, peuvent seules expliquer l’inabordable situation qu’Anacapri a librement choisie. Les voyageurs qui ont parcouru les mers de l’archipel grec se rappelleront sans doute que dans chaque île la vieille cité, la cité mère, est placée à des hauteurs excessives. Ce n’est que depuis l’extinction de la piraterie barbaresque, depuis que la mer n’est plus la grande route des forbans, que les villes se sont hasardées à descendre au rivage, où elles n’ont plus à redouter le pillage, le viol et l’incendie; mais de vieilles habitudes attachaient à l’ancien foyer. Les pères avaient fait ainsi : pourquoi ne ferait-on pas