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à ses produits. Elle était utile à tout le monde, et n’était au fond, quelles que fussent les apparences, hostile à personne. La nouvelle serait avant tout militaire et envahissante, ce qui pourrait aider les uns, mais aussi contrarier les autres ; la première libérale et pacifique, l’autre sans esprit de progrès, sans autre moyen d’assimilation que celui de la guerre et de la conquête.

Tels seraient, nous le croyons, les résultats amenés par le triomphe du sud, si ce triomphe était destiné à s’accomplir. Que si au contraire la lutte entre les deux partis aujourd’hui en armes doit se prolonger, si la solution de leur grand débat doit encore se faire attendre, il en pourra sortir alors des maux d’un autre genre. Poussé par les passions et les nécessités de la lutte, le gouvernement fédéral peut décréter l’abolition immédiate de l’esclavage et même être entraîné à l’emploi d’un terrible moyen de guerre en armant les esclaves contre leurs maîtres ; mais cette mesure, outre ce qu’elle aurait en elle-même de violent et de barbare, ne saurait profiter à ceux qui l’auraient prise ; elle amènerait au sein des états du nord des scissions éclatantes, bien plus profitables que contraires à la cause sécessioniste.

Est-il besoin d’ajouter que, dans cet avenir tel qu’on vient de l’envisager, rien ne saurait répondre aux vœux des amis de la liberté et de la grandeur américaine ? Après les côtes du sud entièrement bloquées comme elles l’ont été, après le cours du Mississipi rentré au pouvoir de la marine fédérale, ils eussent souhaité le triomphe de l’armée du Potomac devant Richmond, parce qu’il eût facilité un rapprochement complet sur les bases de l’ancienne Union. Ce triomphe a manqué, on en a vu les causes, et la réconciliation telle qu’elle eût été désirable et possible alors semble bien difficile aujourd’hui. Je ne suis pas de ceux pourtant qui en concluront que la cause fédérale est une cause perdue. Comparées à celles du sud, les ressources du nord sont loin d’être épuisées. Et qui sait tout ce que peut au jour du péril l’énergie d’un peuple libre combattant pour le droit et pour l’humanité ?


A. TROGNON.