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commerce n’est pas le fait des gens du sud ; ils auraient besoin de quelqu’un pour faire leurs affaires. Le même mouvement, selon toute vraisemblance, entraînerait les états de l’ouest, dont tous les débouchés seraient aux mains des confédérés. Seuls, les états de la la Nouvelle-Angleterre, où les croyances puritaines ont conservé tout leur empire et où la haine de l’esclavage est sincère, resteraient dans une situation isolée, vivant des produits de leur agriculture et des ressources que saurait se créer l’esprit d’entreprise de leur population maritime si active et si nombreuse.

À part ces six petits états, à part aussi probablement la Californie, qui, séparée du reste du monde, a des intérêts tout à fait exceptionnels, l’ancienne Union serait ainsi refaite ; seulement les idées du sud y seraient prépondérantes. La glorification et l’extension de l’esclavage seraient la commune devise. Fondée par les armes, la confédération devrait être avant tout une puissance militaire. L’aristocratie esclavagiste aurait gagné ses éperons, elle aurait connu les enivremens de la gloire, elle ne subirait plus aucun frein. Conservatrice à l’intérieur, mais agressive au dehors, elle ne serait plus contenue, comme jadis, par l’intérêt commercial, le bon sens froid et un peu britannique des marchands des états du nord. Avec l’impulsion que le retour de la paix donnerait aux affaires et la prospérité qui en serait la suite, la confédération, ainsi constituée, deviendrait une puissance formidable, et ceux qui désirent avant tout le maintien d’un grand état dans l’Amérique septentrionale pourraient lui accorder leurs sympathies, à la condition toutefois qu’elle eût des chances de durée.

Mais là est la difficulté. On peut faire de grandes choses avec l’esclavage : acquérir en peu de temps une richesse fabuleuse, comme autrefois à Saint-Domingue ; mettre sous les armes, pendant que les noirs cultivent la terre, toute la population libre, et soutenir victorieusement avec elle une lutte disproportionnée, comme nous le voyons aujourd’hui en Virginie ; mais ce sont là des efforts passagers, et à la longue l’esclavage épuise, ruine, démoralise tout ce qu’il touche. Comparons les destinées de deux grandes villes voisines, de Louisville et de Cincinnati ; comparons ce que la première, malgré l’immensité de ses avantages naturels, est devenue sous l’influence énervante de l’esclavage avec le développement inouï que sa rivale doit à la liberté : le sort de l’Union esclavagiste serait celui de Louisville. La vieille Union au contraire, avec sa marche lente, prudent mais sûre, vers une émancipation graduelle, aurait ressemblé à Cincinnati. La vieille Union était un peuple de marchands fournissant avant tout à l’Europe des matières premières qui lui sont indispensables, en même temps qu’un débouché sans limites