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méthode, se ruer sur les fédéraux, qui, se sachant si inférieurs en nombre et sans espoir d’être soutenus, ne prétendaient à rien de plus qu’à résister et à garder leur terrain. On se battait avec une sauvage énergie de part et d’autre, sans bruit, sans cris ; lorsqu’on était trop pressé, on faisait une charge à la baïonnette. L’artillerie placée en arrière dans les clairières tirait à obus par-dessus les combattans. Ah ! j’aurais voulu que tous ceux qui, oublieux du passé et poussés par je ne sais quels calculs égoïstes, avaient prodigué leurs encouragemens à la funeste rébellion des propriétaires d’esclaves, assistassent à cette lutte fratricide. Je leur aurais souhaité, comme châtiment, le spectacle de cet effroyable champ de bataille où morts et mourans étaient entassés par milliers. J’aurais voulu qu’ils vissent les ambulances provisoires formées autour de quelques habitations qui se trouvaient çà et là. Que de misères ! que de souffrances ! Les ambulances avaient quelque chose de particulièrement horrible. Les maisons étaient beaucoup trop rares pour contenir la moindre partie des blessés, et l’on était réduit à les entasser alentour ; mais, bien qu’ils ne proférassent pas une plainte et supportassent leur sort avec le plus stoïque courage, leur immobilité sous les rayons de midi d’un soleil de juin devenait bientôt intolérable ; on les voyait alors, ramassant ce qui leur restait de forces, ramper pour chercher un peu d’ombre. Je me souviendrai toujours d’une touffe de rosiers dont j’admirais les fleurs parfumées tout en causant avec un de mes amis, lorsqu’il me fit remarquer sous le feuillage un de ces malheureux qui venait d’expirer. Nous nous regardâmes sans mot dire, le cœur serré par la plus douloureuse émotion. Tristes scènes, dont la plume de l’écrivain, comme l’œil du spectateur, a hâte de se détourner ! Vers midi, le feu diminua graduellement et s’éteignit, l’ennemi se retirait ; mais les fédéraux n’étaient pas en état de le poursuivre. On ne savait pas alors quelle perte les gens du sud venaient de faire dans la personne de leur chef, le général Johnston, grièvement blessé. C’est à son absence que l’on devait en grande partie le décousu des attaques dirigées dans la matinée contre l’armée fédérale. Lorsqu’à midi le feu cessa, les confédérés, las de la longue lutte qu’ils venaient de soutenir et n’étant plus commandés, étaient, dit-on (car au milieu de ces bois immenses on ne voit rien, et l’on est réduit à tout deviner), dans un état de confusion inextricable. Qu’on juge ce qui fût arrivé, si à ce moment les 35,000 hommes de troupes fraîches laissés sur l’autre rive du Chikahominy eussent paru sur le flanc de cette masse en désordre, après avoir heureusement traversé les ponts !

Tel est le récit de cette bataille singulière qui, toute compliquée qu’elle fût par des incidens supérieurs aux volontés humaines,