Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 41.djvu/851

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vinssent plus solides et praticables à son artillerie, et en second lieu que de nombreux ponts qu’il faisait construire pour passer le Chikahominy fussent jetés ou près de l’être. Ces ponts étaient d’une indispensable nécessité ; on ne pouvait rien faire sans eux. La disposition des lieux, l’impossibilité de s’écarter du chemin de fer qui faisait vivre l’armée et le besoin de se mettre en garde contre un mouvement tournant de l’ennemi avaient forcé le général à partager ses troupes en deux ailes sur les deux côtés de la rivière. Or il importait de pouvoir les réunir rapidement soit sur la rive droite, pour prendre l’offensive contre l’armée confédérée qui couvrait Richmond, soit sur la rive gauche, pour s’opposer au mouvement tournant dont nous parlons, et qui était fort à craindre. Les confédérés en effet étaient restés maîtres de plusieurs ponts sur le haut du Chikahominy, par lesquels ils pouvaient venir occuper les excellentes positions qu’offrait sa rive gauche, aussitôt que l’armée du nord les aurait abandonnées. Ils l’eussent de cette manière enfermée sur la rive droite, bloquée, affamée, et placée par suite dans une position singulièrement critique.

Malheureusement tout traînait en longueur du côté des fédéraux. Les chemins étaient longs à sécher, les ponts longs à construire. « Jamais nous n’avons vu une saison aussi pluvieuse, » disait the oldest inhabitant. « Jamais nous n’avons vu de ponts aussi difficiles à construire, » disaient les ingénieurs. La maudite rivière déjouait tous leurs efforts. Trop étroite pour recevoir un pont de bateaux, trop profonde et trop vaseuse pour des chevalets, ici n’étant qu’un ruisseau large de 10 mètres, mais coulant entre deux plaines de sable mouvant où les chevaux enfonçaient jusqu’au poitrail et qui n’offraient aucun appui, là divisée en mille filets d’eau, sur une largeur de 300 mètres, à travers un de ces marécages boisés remplis de fondrières propres aux pays tropicaux, changeant enfin tous les jours de niveau et de lit, dans son régime inégal et capricieux elle défaisait ou annulait le travail de la veille, travail pénible, fait sous un soleil brûlant et souvent sous le feu de l’ennemi. Et les journées, des journées bien précieuses, s’envolaient ainsi ! Peut-être, disons-le franchement, n’était-on pas non plus aussi pressé d’agir qu’on aurait dû l’être. Aller au-devant de l’ennemi, l’aborder sur son terrain, était une tentative aventureuse, un peu en dehors des habitudes d’une armée américaine. On y aime avant tout la guerre méthodique, lente et circonspecte, qui ne donne rien au hasard. Cette lenteur, nous l’avons déjà dit, est dans le caractère national ; elle est aussi, dans une certaine mesure, commandée aux généraux par la nature de leurs troupes. Ces troupes sont très braves, mais, comme nous avons essayé de le montrer, le lien hiérarchique y étant très faible.