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gligé de garder, et débouchait en plaine au-delà des marais sur le flanc des ouvrages qui couvraient Williamsburg. Les confédérés ne s’attendaient pas à une attaque de ce côté. Si elle réussissait, elle débordait toute la position. Ils envoyèrent aussitôt deux brigades qu’on vit s’avancer résolument au milieu des blés verts pour chasser la brigade fédérale. Celle-ci les laissa froidement arriver et les reçut avec un feu d’artillerie terrible. Les confédérés, sans être ébranlés, poussèrent en avant jusqu’à 30 mètres de la gueule des canons, criant à tue-tête : Bull’s Run ! Bull’s Run ! comme jadis les Suisses : Granson ! Granson ! Mais là ils commencèrent à hésiter, et le général fédéral Hancock, saisissant le moment, cria à sa brigade en agitant sa casquette : « Maintenant, messieurs, à la baïonnette ! » et se précipita avec elle sur l’ennemi, qui ne put résister au choc et se débanda, jonchant la plaine de ses morts. Au même moment le général en chef, retenu jusque-là à York-Town, parut sur le champ de bataille. Il faisait sombre, la nuit arrivait à grands pas, la pluie tombait toujours à torrens. Sur trois côtés de l’espèce de plateau où se trouvait le général, le canon et la fusillade roulaient sans interruption. Le succès d’Hancock avait été décisif, et les réserves amenées par le chef, s’élançant au pas de course, l’achevèrent par leur seule présence. Je vis alors le général Mac-Clellan, passant devant le front du 6e cavalerie, qui était là en colonne par escadron, donner la main au major Williams, avec quelques paroles sur sa brillante charge de la veille. Le régiment n’avait pas entendu ces paroles, mais il les avait comprises, et il était sorti de toutes ces poitrines une de ces formidables et mâles acclamations qui ne s’entendent que les jours de bataille. Ces acclamations, répétées sur toute la ligne, glacèrent l’ennemi. On le vit monter sur les parapets de ses redoutes et regarder interdit et immobile ; puis le feu s’éteignit, et la nuit se fit sur ce combat que l’on appelle en Amérique la bataille de Williamsburg.


IV.

Le lendemain, le jour se leva sans nuages. L’air avait cette pureté qui, dans les pays chauds, suit les orages, les bois toute la fraîcheur d’une belle matinée de printemps. Partout un riant paysage, partout des fleurs éclatantes, nouvelles pour nos yeux européens ; mais à côté de tout cela les ravages du champ de bataille, le sol jonché de morts, de mourans, de débris de toute sorte, formaient un douloureux contraste. Pendant la nuit, les confédérés avaient évacué leurs ouvrages. Nous y fûmes bientôt, et nous pûmes voir les colonnes bleues de l’infanterie fédérale qui entraient, bannières