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du pays. Ici c’était le contraire : un seul combat heureux sur mer des confédérés, un seul coup qu’ils avaient su frapper par surprise, allait peut-être paralyser la grande armée fédérale, lui faire perdre des avantages géographiques égaux à ceux qu’elle avait trouvés dans l’ouest, et compromettre, ou tout au moins ajourner la réussite de ses opérations : tant il est vrai que l’expérience n’a pas encore appris, même aux peuples les plus puissans sur mer, tout le parti qu’on peut tirer du concours d’une marine bien organisée dans les guerres de terre !


III.

Pendant que l’on attendait ainsi le Merrimac et qu’on l’attendait en vain, l’armée prenait terre à Fort-Monroë, où régnait une prodigieuse activité. Le 4 avril, six divisions, la cavalerie, la réserve et un nombre immense de chariots étaient déjà débarqués. Le général en chef, arrivé la veille, les mit en mouvement. Keyes, avec trois divisions, prit une route qui longeait les bords du James-River. Mac-Clellan prit avec le reste des troupes la route directe de York-Town. On traversa d’abord les ruines de la ville de Hampton, incendiée quelques mois auparavant par un procédé à la Rostopchin du général confédéré Magruder, C’était lui qui commandait encore, disait-on, les troupes préposées à la défense de York-Town et de la péninsule. Magruder, comme tous les chefs confédérés, avait fait partie jusqu’au moment de l’insurrection de l’armée régulière de l’Union. Ses anciens camarades, placés à la tête des troupes fédérales, étaient familiers avec ses habitudes et son caractère, et cherchaient à en déduire la conduite qu’il tiendrait devant eux. Cette connaissance réciproque que les chefs des deux armées avaient les uns des autres, résultat d’une vie commune commencée dès l’enfance sur les bancs de l’école, et continuée, soit sur les champs de bataille, soit durant les longues garnisons des frontières, était certainement un des traits singuliers de cette singulière guerre. Quelques personnes fondaient encore des espérances de réconciliation sur cette vieille camaraderie, mais ces espérances ne devaient pas se réaliser.

Un autre trait non moins curieux qui se manifesta dès le premier jour et ne cessa pas de se reproduire était l’absence complète de renseignemens sur le pays et sur la position de l’ennemi, l’ignorance totale de ses mouvemens et du nombre de ses troupes. Le peu d’habitans que l’on rencontrait étaient tous hostiles et muets ; les déserteurs et les nègres en disaient généralement beaucoup plus qu’ils n’en savaient pour se faire bien venir, et avec le manque de