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connaît ; je rappelle seulement que c’était une ancienne et très grande frégate à hélice, rasée jusqu’à la flottaison et recouverte d’un toit en fer assez faiblement incliné pour faire ricocher les boulets. Dans ce toit, quelques sabords étaient pratiqués pour des canons Armstrong de 100 et quelques autres pièces du plus gros calibre. L’avant était armé d’un éperon en fer, comme celui des anciennes galères. Le 8 mars, le Merrimac, escorté de plusieurs canonnières blindées, sort de l’Elizabeth-River et se dirige droit vers l’entrée du James-River, où étaient mouillées les deux vieilles frégates à voiles de la marine fédérale, le Cumberland et le Congress. Toutes deux font feu de toute leur artillerie contre l’ennemi inattendu qui s’approche, mais ce feu est sans effet : tous leurs boulets ricochent sur la toiture. Le Merrimac continue paisiblement sa route, et vient, avec une vitesse de quatre à cinq nœuds seulement, plonger son éperon dans le flanc du Cumberland. Chose singulière, ce choc fut très doux, à peine si on le ressentit à bord du Merrimac, mais il avait suffi pour frapper à mort la frégate fédérale. On la vit couler majestueusement, ensevelissant avec elle deux cents hommes de son équipage, qui, jusqu’au dernier instant, servaient encore leur impuissante artillerie ; grand et glorieux spectacle ; mais dans ce choc fatal le Merrimac avait brisé son éperon. Est-ce pour ce motif qu’il n’essaya pas de couler de même le Congress ? Toujours est-il qu’il se borna à engager avec cette frégate un duel d’artillerie qu’elle ne put longtemps soutenir. Encombrée de morts et de mourans, elle hissa ses voiles, alla s’échouer à terre, amena son pavillon et prit feu. En voulant faire prisonnière une portion de l’équipage, les marins du Merrimac furent exposés à un feu de mousqueterie parti de la côte, et une balle atteignit leur brave et habile capitaine, M. Buchanan.

Pendant ce temps, toute l’escadre des fédéraux, réunie à Hampton-Roads, s’était mise en mouvement pour aller au secours de ses infortunés compagnons du James-River ; mais cette escadre ne pouvait être que de peu de secours. Elle se composait de trois frégates, dont une seule, le Minnesota, en état de rendre quelques services : c’était une frégate à hélice de même dimension que le Merrimac, mais non blindée. Les deux autres, le Roanoke, également frégate à hélice, mais qui avait perdu son arbre, et le Saint-Lawrence, vieille frégate à voiles, n’étaient bonnes qu’à se faire détruire. Toutes deux, après des efforts infructueux pour se rendre sur le lieu du combat et des échouages partiels, abandonnèrent la partie et retournèrent à leur mouillage. Quant au Minnesota, qui aurait pu avoir quelques chances contre le Merrimac, non avec son artillerie, mais en profitant de sa supériorité de vitesse pour l’aborder et essayer de le couler par le choc, elle tirait six pieds d’eau de plus que le Merrimac,