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retrouver plus tard égaux dans la vie privée. Enfin ces officiers appartenaient à cette classe des maîtres d’esclaves qui, vivant du travail de leurs inférieurs et habitués à les commander, attachés au sol par la transmission héréditaire de la terre paternelle et des serfs noirs qui la peuplaient, avaient dans une certaine mesure les qualités des aristocraties. Entre leurs mains, la discipline de l’armée n’avait rien à craindre ; de nombreuses fusillades la firent respecter, et le jour du combat ils menèrent vaillamment leurs soldats et en furent vaillamment suivis.

En second lieu, M. Davis reconnut vite que le système des volontaires serait impuissant à lui fournir assez d’hommes pour soutenir la lutte fratricide dans laquelle il avait engagé son pays ; il en vint rapidement à la conscription, au recrutement forcé. Ce n’était plus un contrat entre le soldat et son colonel, ou entre le soldat et l’état, laissant toujours une possibilité de résiliation, et n’entraînant pas des obligations absolues. C’était la loi, l’autorité, le pouvoir qui enlevaient tous les hommes valides et les faisaient marcher aveuglément à ce qu’on leur disait être la défense de leur pays. Pas d’hésitation possible. Enchaîné par le lien du devoir, le soldat en devenait à la fois plus soumis et plus disposé au sacrifice. Dans la situation du sud, ces mesures étaient bonnes, et nul doute qu’elles n’aient contribué, au début de la guerre, à procurer de grands avantages à son armée. Néanmoins nous sommes bien loin de faire un reproche à M. Lincoln de n’avoir pas recouru à des moyens aussi violens. Les chefs d’une insurrection ne connaissent aucun obstacle, et ne sont arrêtés par aucun scrupule lorsqu’il s’agit d’assurer le triomphe de leurs vues ambitieuses, et surtout d’échapper aux conséquences qu’entraînerait pour eux la défaite. Ils ne reculent devant rien, et n’ont aucune répugnance aux expédiens révolutionnaires ; mais M. Lincoln et ses conseillers étaient les représentans légitimes de la nation, et s’ils avaient le devoir de réprimer une révolte, ils ne voulaient pas, sans une nécessité absolue, toucher aux garanties qui jusqu’alors avaient fait le peuple américain le plus heureux et en même temps le plus libre de la terre.


II.

Une fois l’armée improvisée, il fallut songer à l’emploi que l’on allait en faire, autrement dit au plan de campagne. Le plan général était simple : on ne pouvait avoir l’idée de conquérir et d’occuper un territoire aussi vaste que celui des états confédérés ; mais, pour conjurer les dangers nés ou à naître d’une aussi redoutable insurrection, il fallait atteindre trois résultats : bloquer efficacement le littoral insurgé, être maître du cours du Mississipi et du système