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les hôpitaux. Ce travail prodigieux s’accomplit avec une rapidité et un succès extraordinaires, lorsqu’on songe que tout était à créer en l’absence de toute tradition. Non-seulement personne ne savait autrement que par les livres comment se manient tous ces fils indispensables à la conduite d’une armée, et le manque de précédent en pareille matière était complet, mais le nombre même de ceux qui avaient voyagé en Europe et appris par leurs yeux ce que c’est qu’une grande réunion de troupes était infiniment petit.

L’armée américaine n’avait d’autres traditions que celles de la campagne qui conduisit le général Scott à Mexico, campagne brillante, dans laquelle il y eut beaucoup de difficultés à vaincre, mais qui était bien loin d’offrir les proportions gigantesques de la guerre actuelle. Au Mexique d’ailleurs, le général Scott avait avec lui l’armée régulière tout entière, et ici il n’en restait plus que de faibles débris. Au Mexique, c’étaient les réguliers qui avaient été le principal, les volontaires n’avaient été que l’accessoire et comme l’ornement. Le vieux général, à qui l’on demandait un jour comment à cette époque il faisait pour maintenir la discipline dans leurs rangs, répondait : « Oh ! ils savaient que s’ils s’écartaient, ils seraient massacrés par les guérillas. » Les circonstances n’avaient donc plus rien de semblable, et le maniement de ces grandes armées de volontaires, malgré tant d’efforts tentés pour les régulariser, était un problème qui présentait bien des inconnues.

Au sud, l’organisation des forces insurrectionnelles offrait moins de difficultés. Le gouvernement révolutionnaire avait vite pris entre les mains de M. Jefferson Davis la forme dictatoriale. Soutenu par l’oligarchie de trois cent mille propriétaires d’esclaves, dont il était l’élu et dont il personnifiait les violentes passions, M. Davis s’était mis à l’œuvre avec activité pour créer une armée en état de lutter contre les formidables préparatifs du gouvernement fédéral. Ancien élève de West-Point, ancien général de volontaires au Mexique, ancien ministre de la guerre de l’Union, il avait toutes les conditions voulues pour bien remplir sa tâche. Il y appliqua sa rare capacité. Il fut secondé par l’élite de l’ancien état-major fédéral, par l’esprit plus militaire des hommes du sud, et aussi par le concours de tous les aventuriers, flibustiers et autres, que le sud nourrissait toujours en vue de ces envahissemens continuels auxquels le condamne l’esclavage. Je n’ai pas le projet de faire ici un tableau de l’armée séparatiste, mais je veux seulement signaler deux différences importantes qui caractérisent son organisation, comparée à celle du nord. Les officiers étaient choisis et nommés directement par le président ; ils étaient envoyés dans les régimens pour y commander. Point de camaraderie entre eux et les soldats. Ceux-ci ne les connaissaient pas, et par cela seul les croyaient supérieurs. Ils ne devaient pas se