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volontaires. D’un côté la licence, de l’autre la discipline : le choix est vite fait. Les habitudes créées par le suffrage universel jouent aussi leur rôle là dedans et se retrouvent sur les champs de bataille. D’un accord tacite le régiment va à l’ennemi, il s’avance sous le feu, se met à tirailler. Les hommes sont braves, très braves ; ils se font tuer et blesser en grand nombre, et puis quand, par un accord tacite, on juge qu’on a fait assez pour l’honneur militaire, on s’en va tous ensemble. Le colonel essaie peut-être de donner une direction, une impulsion ; généralement il y perd ses efforts : quant aux officiers, ils n’y songent même pas. Pourquoi l’essaieraient-ils et pourquoi seraient-ils obéis, si la majorité du régiment est d’avis de la retraite ? L’obéissance dans cette armée ressemble à l’obéissance que des enfans qui jouent au soldat montrent à celui de leurs camarades qu’ils ont fait leur capitaine. Est-il besoin d’insister jour faire sentir les inconvéniens d’un pareil état de choses ? On avait néanmoins dans les mains une masse immense d’hommes armés, une multitude de régimens, car le pays avait répondu avec ensemble et vigueur à l’appel des volontaires. Jamais, nous le croyons, aucune nation n’a enfanté d’elle-même, par sa propre volonté, par ses seules ressources, sans coercition d’aucun genre, sans pression gouvernementale et en si peu de temps, un armement aussi considérable. Les gouvernemens libres, quels que soient leurs défauts et les excès auxquels ils ont pu se laisser entraîner, conservent toujours une élasticité, une puissance créatrice que rien ne peut égaler. Seulement les vices d’organisation que nous avons signalés diminuaient singulièrement la valeur réelle de ce rassemblement militaire.

C’est à remédier autant que possible à ces vices que le général Mac-Clellan et les anciens officiers de l’école de West-Point, devenus par la force des choses généraux de brigade et de division, consacrèrent tous leurs efforts. Les régimens furent embrigadés par quatre et les brigades endivisionnées par trois. À chaque division, on donna quatre batteries, trois servies par des volontaires et une par des réguliers. Celle-ci devait servir de modèle aux autres, et son capitaine prenait le commandement de toute l’artillerie de la division. On eut un moment l’idée de mettre un bataillon de réguliers dans chaque division de volontaires, pour y jouer le rôle de fer de lance que lord Clyde attribue aux troupes européennes dans les armées de cipayes ; mais oh y renonça. Il parut préférable de garder réunie la seule troupe réellement disciplinée que l’on eût sous la main. Telle qu’elle fut faite d’ailleurs, la formation divisionnaire était bonne ; elle a été d’une très grande utilité.

Il fallut ensuite pourvoir aux services administratifs, aux vivres, aux munitions, aux transports, organiser les réserves d’artillerie, le génie, les pontonniers, la brigade topographique, les télégraphes,