Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 41.djvu/810

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

depuis le colonel jusqu’au plus bas de l’échelle, ne savent pas le premier mot de l’art militaire, et s’ils ont un fonds d’aptitude réelle, s’ils doivent avoir des qualités guerrières, il leur reste à en faire preuve. Les soldats n’ont sur ce point aucune illusion ; « ils n’en savent pas plus long que nous, nous les connaissons bien, » disent-ils de ceux qui les commandent. Donc pas de supériorité de savoir de la part du chef sur le soldat, pas de supériorité de position sociale non plus dans un pays où l’on n’en reconnaît aucune. Le plus souvent aussi, c’est avec des arrière-pensées de candidatures politiques que l’officier a pris les armes ; c’est pour se faire un nom aux yeux des électeurs. Or ces électeurs futurs, ce sont les soldats. Que deviendrait la popularité dont on tient à jouir auprès d’eux, si on les rudoyait ou si on se montrait trop exigeant dans le service ?

De toutes ces causes résultaient absence d’autorité chez les officiers, absence de respect chez les soldats, partant point de hiérarchie, point de discipline. Tout cela s’est amélioré depuis sous l’empire de la nécessité et à l’école de l’expérience. Dès le début même, il y avait des exceptions ; quelques colonels, poussés par une vraie vocation ou animés d’un patriotisme ardent, savaient vaincre les obstacles placés sur leur route. Quelquefois un officier de l’armée régulière, désireux de se distinguer et ayant assez d’influence dans son état, levait un régiment et en obtenait un résultat admirable. C’est ainsi qu’un jeune lieutenant du génie, nommé Warren, a tiré un merveilleux parti du 5e New-York, dont il était colonel. Ce régiment a fait successivement le service du génie et de l’artillerie au siège de York-Town, et, redevenu infanterie, s’est conduit comme les plus vieilles troupes aux batailles de Chikahominy, où il a perdu la moitié de son effectif. C’étaient pourtant des volontaires, mais ils sentaient le savoir et la supériorité de leur chef. Ils l’auraient suivi partout.

La plupart du temps au contraire, le chef est un camarade ; seulement il porte un autre costume. On lui obéit dans la routine de tous les jours, mais volontairement. Volontairement aussi on ne s’inquiète plus de lui quand les circonstances deviennent sérieuses ; au point de vue de l’égalité américaine, il n’y a aucune lionne raison pour lui obéir. Aux yeux du plus grand nombre d’ailleurs, ce titre de volontaire ne signifie pas le soldat qui se dévoue généreusement et volontairement pour sauver la patrie ou acquérir de la gloire, mais bien le soldat richement payé qui ne fait que ce qu’il veut et ce qui lui plaît. Cela est si vrai que, bien que la paie et le temps de service soient les mêmes pour les volontaires et les réguliers, le recrutement de ces derniers est devenu à peu près impossible. Toute la classe d’hommes qui s’engageait pour l’armée lorsqu’il n’y avait qu’elle, par goût de la vie des camps, passe aujourd’hui dans les