Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 41.djvu/809

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faute de discipline : non que les lois et règlemens militaires ne fussent pas suffisamment sévères ; mais ils n’étaient pas appliqués et ne pouvaient l’être par suite de l’organisation première du régiment et de la composition de son corps d’officiers. Ici nous touchons au vice essentiel d’une armée américaine.

Comment se forme en effet un régiment de volontaires ? Dès que le congrès a voté le nombre d’hommes que l’on veut appeler sous le drapeaux, on fait à Washington le calcul de ce que chaque état de l’Union doit fournir suivant ses ressources ou sa population. Ce calcul établi, chaque gouverneur fait annoncer qu’il sera levé dans les limites de sa juridiction tant de régimens. Le régiment, d’un seul bataillon, est l’unité militaire américaine. Les choses se passent alors de cette façon. — Quelques personnes se présentent qui offrent de lever un régiment ; chacun fait valoir ses titres, son influence dans l’état ou dans telle partie de la population de l’état, qui lui permettra de trouver facilement le nombre d’hommes voulu, son dévouement au parti qui occupe en ce moment le pouvoir, etc. Parmi ceux qui se sont ainsi présentés, le gouverneur fait son choix. Généralement celui sur qui il est tombé a posé pour condition première qu’il aura le commandement du régiment, et voilà M. tel ou tel, médecin ou avocat, n’ayant jamais touché une épée, mais se sentant une vocation improvisée, qui d’emblée devient colonel ; le voilà en rapport avec toutes les agences de recrutement et tous les fournisseurs chargés de l’équipement et de l’habillement du régiment futur. Il s’agit de trouver les soldats ; c’est difficile, car il y a beaucoup de concurrence. On s’adresse à tous ses camarades, on parcourt le pays, on s’ingénie. Cela se fait vite et bien en Amérique, où l’on a l’esprit inventif. La plupart du temps, on trouve quelques amis qui, saisis de la même ardeur martiale, promettent d’amener tant de recrues, si on les fait, l’un capitaine, l’autre lieutenant, un autre sergent, et ainsi de suite. Les cadres se forment et se remplissent en partie ; il ne reste plus qu’à compléter. C’est alors qu’on a recours aux moyens extraordinaires, à ces affiches gigantesques faisant valoir en termes pompeux tous les avantages que présente l’entrée au corps. On va chez les prêtres catholiques pour avoir des Irlandais ; on donne le privilège si recherché de la cantine à un individu qui promet le complément d’hommes nécessaire. Puis le régiment se trouve organisé ; on porte les listes au gouverneur, qui approuve tout. Le régiment se rassemble, est habillé, équipé, puis expédié par le chemin de fer au seat of the war. Quelquefois, souvent même, on fait dépendre les grades de l’élection ; mais ce n’est le plus souvent qu’une formalité : tout a été arrangé d’avance entre les intéressés.

Les inconvéniens de ce système sautent aux yeux. Les officiers,