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pas manquer, quoi qu’on dise, après tant de constructions nouvelles, tout ce que la collection Campana renferme de précieux et d’exquis, surtout dans ses séries antiques, afin de porter d’un seul coup notre musée français au plus haut degré de splendeur.

Et maintenant que signifient tous ces grands noms, tous ces illustres témoignages dont on prétend m’accabler ? Ces hommes, la gloire de l’art et de l’archéologie en France et à l’étranger, je m’incline devant eux, et les prends volontiers pour juges ; mais qu’ont-ils dit qui tranche la question, la question comme il faut la poser, dans ses véritables termes ? Ces lettres, ces paroles, ces adhésions, qu’on cite avec tant de fracas, expriment-elles autre chose qu’une sympathique admiration pour les trésors de la galerie Campana, une ferme assurance que ces modèles seront d’un puissant secours pour nos arts et pour notre industrie ? Or ce sont là des vérités sur lesquelles tout le monde est d’accord. Qu’y a-t-il donc à conclure de ce pompeux étalage ? Les trésors de cette collection seront-ils perdus pour la France parce qu’ils auront changé de mains ?

J’ai hâte de finir, et pourtant il faut vous dire un mot de la péroraison de M. Desjardins. C’est quelque chose de touchant ! Il veut bien me donner des conseils, s’occuper de mon éducation, me dire par quels moyens j’aurais pu faire de la critique en matière d’art, sans cette malheureuse politique qui m’a frappé, comme on l’a vu, d’une incapacité radicale. A supposer que je m’obstine, il a la bonté de s’offrir pour guider mon inexpérience. Il m’engage surtout à triompher de mes dédains, de mes mépris pour l’archaïsme en général et en particulier pour l’art du moyen âge. Pourquoi tenir rigueur à ces bons maîtres primitifs ? Il m’apprend à les mieux comprendre, à en sentir les naïves beautés. Et ce n’est pas assez de m’honorer de ses conseils, M. Desjardins me révèle une circonstance de ma vie que j’ignorais absolument. Il m’apprend que j’ai fait partie de l’École normale, et il en tire des conséquences tout à fait éloquentes. L’erreur n’est pas grave, à coup sûr ; mais chez un professeur d’histoire on pourrait désirer, ce me semble, un peu moins d’imagination. Enfin, sur quelques bancs que je me sois assis, je suis un écolier dont franchement il désespère. « Il est bien tard,» dit-il ; aussi me souhaite-t-il, pour conclusion dernière, « avec plus de raison que l’archevêque de Grenade à Gil Blas, une meilleure fortune avec un peu plus de goût. »

Je vous laisse, monsieur, sur ce trait, sur cet échantillon du goût et de l’esprit de M. Desjardins, non sans demander pardon à vos lecteurs de les avoir si longtemps entretenus de moi et pour si peu de chose !

Agréez, etc.


L. VITET.


V. DE MARS.