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mens qui s’y agitent, si l’on se bornait à concentrer son attention sur les grandes crises qui reviennent périodiquement mettre en cause les conditions d’existence de l’empire ottoman et la paix de l’Europe. L’inexpérience seule ou la légèreté pourrait méconnaître l’importance de quelques affaires moins bruyantes, qui n’en exercent pas moins une grande influence sur les dispositions des peuples et sur l’attitude des cabinets. L’une des plus sérieuses et des plus intéressantes est celle des monastères dédiés[1] dans les Principautés-Unies; il n’y en a guère non plus de moins connue. Rien cependant n’excuse l’ignorance en cette matière depuis que de nombreuses publications, inspirées par les divers intérêts qui se trouvent aux prises, sont venues apporter la lumière de la discussion dans les replis les plus cachés de ce débat[2]. Ce n’est pas, je l’avoue, une entreprise ordinaire que d’introduire le lecteur dans un monde qui lui est complètement étranger, et où chaque mot a besoin d’être défini. Heureusement les publications dont nous avons parlé ne se sont pas bornées à des controverses qui n’auraient pu être comprises en Occident que de quelques rares privilégiés : elles nous ont fait voir, si je puis m’exprimer ainsi, le corps même de la question. Grâce à la mise au jour de nombreux documens, l’on peut se rendre un compte exact de la nature de l’objet en litige; l’on peut lire en quelque sorte dans les âmes des princes et des boyards roumains du XVIIe et du XVIIIe siècle, et ce n’est certainement pas une étude sans intérêt pour l’histoire de l’Orient chrétien.

Dans les principautés de Moldavie et de Valachie plus que partout ailleurs, un monastère était un établissement de retraite, de bienfaisance et d’utilité publique. Ces pays ayant été exposés jusqu’à nos jours à des invasions de tous leurs voisins, Turcs, Tartares, Hongrois, Polonais, Russes, les monastères étaient destinés à servir d’asile aux populations errantes. Beaucoup sont bâtis sur des montagnes, à des hauteurs presque inaccessibles. Dans les villes même, et notamment à Bucharest, il y en a qui sont de véritables forteresses, et il existe encore des personnes qui s’y sont réfugiées dans leur jeunesse. Quelques monastères étaient obligés de doter chaque année un certain nombre de filles, de boyards appauvris. Ces asiles étaient aussi des lieux de dépôt pour l’argent et les objets précieux, et même des caravansérails où le voyageur trouvait une hospitalité gratuite. « Il n’y a pas un seul monastère, dit avec raison l’auteur d’un ouvrage sur ce sujet, M. Istratti, qui ait été doté sans que le fondateur n’ait eu en vue quelque œuvre de bienfaisance publique.» A l’appui de cette assertion, M. Istratti cite les monastères de Slatina et de Pangaratzi, encore soumis à l’obligation

  1. Les monastères dédiés sont ceux qui, fondés en Valachie ou en Moldavie, ont été placés sous la direction d’établissemens religieux qui se trouvent hors du territoire roumain, tels que les saints lieux de la Palestine, les couvens du mont Athos, de la Roumélie, etc.
  2. Comme documens sur cette question importante, nous citerons entre autres les Éclaircissemens sur la Question des Monastères grecs situés dans les principautés danubiennes, — Mémorandum sur les Églises, les Monastères, etc., par Bengesco, etc., la Question des monastères de Moldavie voués aux lieux saints, par M. Istratti, traduit du roumain, Jassy 1860; — Monastirile zise Inkinate, si Kaloudgieri straini, de Joan Brezoiano, Bucharest 1861; — Monastirile din Romania, de César Bolliac, Bucharest 1862, etc.