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l’on peut, avec une bienveillance également pondérée, faire sa part à chacun, — à la théocratie catholique comme à la civilisation moderne. A nos yeux, du reste, les chances raisonnables de succès faisaient si absolument défaut à la tentative du 20 mai, que nous nous croyions autorisés pleinement à rester dans le doute au sujet de la qualification qu’il convient de lui donner : effort suprême ou dernière formalité. Pour se convaincre du peu de fondement qu’avait en pratique cette combinaison, il n’y a qu’à considérer l’hypothèse de l’acceptation de Rome. Certes, si, au lieu de faire de la revendication de l’intégralité de son domaine temporel une question de principe, et par conséquent de conscience et d’honneur, sur laquelle il n’est pas permis de transiger même en simagrée, la cour romaine eût simplement voulu faire de la politique et jouer au plus fin, il est quelqu’un qui eût été bien attrapé, et ce quelqu’un, c’est nous-mêmes. L’assentiment de la cour de Rome ne suffisait pas en effet à tirer notre combinaison des limbes : pour lui donner corps, pour la réaliser, il y avait une adhésion non moins indispensable, c’était celle de la cour de Turin et de l’Italie. Nous voit-on, après le malencontreux succès que nous aurions obtenu au Vatican, chargés de la lourde gloire d’avoir enfin persuadé le saint-père et le cardinal secrétaire d’état, obligés de nous retourner vers l’Italie, prenant piteusement le chemin de Turin, et là, auprès d’un parlement qui a, par des votes réitérés, proclamé Rome capitale de l’Italie, auprès d’un ministère qui ne pourrait subsister un seul jour si la nation ne le croyait pas sincère dans l’aspiration vers Rome, prodiguant notre éloquence pour obtenir du gouvernement italien l’engagement vis-à-vis de la France de reconnaître les états de l’église et la délimitation convenue? Pour le coup, il y aurait eu de quoi forcer le roi Victor-Emmanuel lui-même à prendre la chemise rouge, comme il disait un jour à Naples devant un de nos amis. Après nous être mis à Rome dans la position la plus fausse, nous eussions été refusés net à Turin. Aujourd’hui, en montrant la résistance de la cour romaine à nos propositions, nous pouvons du moins nous tourner vers le libéralisme européen et lui dire : Vous avez raison; il n’y a rien à faire à Rome; on y rejette des concessions qui, à vos yeux, eussent paru l’abandon du principe révolutionnaire. Mais dans le cas contraire notre unique ressource eût été de faire la révérence aux cléricaux et aux partisans de la légitimité théocratique et de leur dire avec un triste mea culpa : C’est vous qui aviez raison; les Italiens sont impossibles; les plus belles combinaisons de paix viennent échouer contre leur ambition entêtée! Pie IX et le cardinal Antonelli nous ont donc tirés d’un mauvais pas et nous ont rendu un grand service par la fin de non-recevoir absolue qu’ils ont opposée à nos ouvertures. A la vérité, quant à nous, ce qui modérerait notre reconnaissance, si nous avions été au courant des propositions qui leur étaient adressées, c’est que nous n’eussions pas douté un instant que ce service, il n’était point en leur pouvoir de ne pas nous le rendre.

Il ne nous en coûte point en effet, dans les grandes luttes de principes.