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Dont le front s’est bruni sous les flammes d’Asie?
Quel est cet étranger? Par quelle fantaisie,
Cédant à la rigueur de rêves clandestins,
A-t-il porté son ombre aux rivages lointains?

Puis, coupable et jalouse, il revoit sa maîtresse,
Qui soudain jette un cri de joie et de détresse :
« D’où viens-tu? d’où viens-tu?... qu’as-tu fait loin de moi?
Ma vie et ma beauté, j’ai tout perdu pour toi,
Et j’ai séché d’ennui comme une herbe flétrie... »
Dieu! laisse-moi fuir de nouveau ma patrie!
Insensé! je souffrais en la voyant souffrir;
Elle avait dit : « Tu pars, adieu, je vais mourir. »
Elle l’avait juré; ses larmes l’ont sauvée;
Je la revois vivante, et je l’ai retrouvée
Belle et prête à poser sur mon cœur trop aimant
Une main tiède encor des lèvres d’un amant.
Mon lâche cœur, pareil à la grenade mure.
Sent sous un seul baiser se rouvrir sa blessure.
Alors le voyageur, ce martyr de l’amour.
Qui déjà se repent des fêtes du retour.
Exhalant un soupir qui brise sa poitrine.
Dit : — Je retourne aux mers de l’Inde et de la Chine.


VII. — ÉCRIT EN MER.


Le deuil au front, lassé de moi-même et d’autrui,
Ne sachant où porter mon incurable ennui.
L’œil fixé sur les mers qui tentent mon courage.
Pour rallumer ma vie au pays du soleil.
Je jette mes désirs vers l’Orient vermeil.
Seul, comme un exilé, le cœur gonflé de rage,
J’abandonne patrie, amis, chères amours.
Je les fuis pour longtemps, peut-être pour toujours.
Car la mer est jalouse et le voyage rude.
Vents du sud, vents du nord, effroi des matelots,
Ailes qui flagellez l’humide solitude.
Soufflez et bercez-moi sur le danger des flots !
A vos coups inconnus j’offre mon âme forte :
Détachez-en l’amour, comme une feuille morte;
Comme une fleur stérile, arrachez-en l’espoir.
Et la foi, fruit séché sur l’arbre avant le soir!


HENRI CANTEL.