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pêle-mêle sur le marché. Ce sont aujourd’hui des trésors. Ces deux artistes, Reynolds et Gainsborough, l’un homme de volonté et académicien, l’autre enfant gâté de la nature, marquent un progrès sur Hogarth dans le sentiment du beau et dans l’émotion poétique.

Je passe sur une époque de transition, où l’imitation des écoles étrangères menaça d’envahir le goût britannique, et je me hâte d’arriver à David Wilkie. Ce dernier était le fils d’un vicaire de campagne en Écosse, qui chercha, on le devine, à lui inculquer les rudimens des connaissances classiques. Le brave père y perdit son temps, sa peine et son latin. Décidément le petit David n’était bon à rien qu’à crayonner des dessins. Or on vivait alors au temps de George II, où le titre d’artiste était considéré comme un passeport bien en règle pour l’hôpital. La mère pourtant intervint, et, confiante dans le génie de son fils, insista pour qu’on lui laissât suivre la seule carrière à laquelle il semblait appelé par la nature. Sur sa prière, on l’envoya à Edimbourg avec quelques spécimens de ses dessins et une lettre du comte de Leven pour le secrétaire d’une académie. Il fut reçu moins à cause de ses dessins que par respect pour la recommandation du comte. À peine maître des ressources de son art, il s’attacha tout entier à peindre la vie des paysans écossais. À dix-neuf ans, revenu dans la maison de son père, il termina la Foire de Pitlessie (Pitlessie Fair), dans laquelle il introduisit, dit-on, cent quarante portraits de paysans, la plupart esquissés çà et là dans la rue ou dans l’église, l’un d’eux même sur la page volante de sa bible, et découvert là plus tard, au grand scandale des zélés presbytériens. On peut se faire une idée de sa manière par la Fête de village (Village Festival), les Fiançailles (Penny Wedding), des Enfans en train de déterrer un rat (Rat Catching), et Colin-Maillard (Blind man’s Buff), où il célèbre avec amour les mœurs, les usages, les jeux et les travaux de la campagne. Ses tableaux se recommandent moins par la couleur et le sentiment exquis de la beauté que par l’humour, la finesse et un sens d’observation pénétrante. La verve d’un esprit enjoué éclate surtout dans son Bedeau de village (Parish Beadle), scène charmante et vraie, où le bedeau d’une paroisse d’Écosse, armé de ses pouvoirs civils, chasse de son empire, avec une pompe à la fois majestueuse et risible, une pauvre famille de saltimbanques, — l’homme muni d’un tambour, la femme d’une vielle, l’enfant d’un singe et d’un chien habillés en marquis. Wilkie était si bien le peintre de la vie écossaise, que ses qualités s’affaiblirent à mesure qu’il s’éloigna de l’Écosse, d’abord pour venir à Londres, et plus tard, à la suite de dérangemens de fortune et de Ganté, pour se rendre en Italie, en Espagne, à Jérusalem. Les ouvrages de cette dernière période de sa vie figurent en