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2 décembre, et d’exposer dans ses détails cette grande victoire du calcul, du sang-froid et du secret. Je n’ai pour mon compte qu’un mot à dire, c’est que cette victoire-là était certaine du moment où l’on avait commis la faute de rendre la bataille inévitable sans disposer d’aucune force pour la livrer. Le 24 février et le 2 décembre ont entre eux ce rapport commun que la cause de la liberté modérée y succomba en quelques heures sous la proclamation de la république et sous celle de la dictature; mais le succès de l’une avait été aussi imprévu que celui de l’autre était attendu : la république avait été subie par stupeur, la dictature fut accueillie par lassitude. Contre l’une, l’on pouvait prévoir une réaction prochaine; contre l’autre, la réaction ne pouvait être que très lente, car la première violentait les intérêts, et la seconde ne contrariait que les idées.

Envisagé au point de vue de l’habileté de l’exécution, le coup d’état du 2 décembre distance de très loin, par la multiplicité des ressorts, les conjurations classiques contées par Saint-Real. Le succès n’en fut possible que contre une assemblée qui n’avait plus qu’une constitution discréditée à opposer aux plus formidables engins de la centralisation gouvernementale. En apprenant les mystères de la nuit durant laquelle des sergens de ville avaient éveillé en sursaut la république pour la conduire en fiacre à Mazas, la gaîté gauloise vint tempérer l’émotion patriotique, fort refroidie d’ailleurs, il faut bien le reconnaître, par les incidens parlementaires des derniers temps. Paris avait depuis quelque mois grand’peur du spectre rouge, contre lequel il cuirassait de fer les devantures de ses magasins. Aussi laissa-t-il faire avec une sorte de curiosité complaisante, persuadé qu’il ne se trouverait pas le lendemain en pire situation que la veille. Les classes libérales, en exagérant leurs craintes afin de se donner une excuse, se lavèrent les mains, comme Pilate, du sort de la liberté, heureuses de pouvoir abriter leurs défaillances derrière les entraînemens du suffrage universel. Comme dans les romans de chevalerie, la nation s’était en effet promise à l’homme assez entreprenant pour affronter les périls de l’année 1852, et pour en dissiper avec son épée les ténèbres menaçantes.

L’époque close par ce brusque dénoûment est profondément attristante à étudier, parce que son double caractère fut l’agitation et la stérilité. Jamais on n’était tombé de perspectives plus idéales dans des réalités plus vulgaires. Rêver la régénération du genre humain par la république pour finir en quatre ans par la dictature, telle fut l’histoire du mouvement de 1848, venant aboutir en 1852, sur tout le continent européen, à la plus formidable réaction despotique et militaire. Libre d’esprit comme de cœur, j’ai pu l’étudier sans reculer devant des questions délicates, et j’espère avoir parlé d’hommes dont les intentions valaient mieux que les actes avec cette justice