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avait provoqué le pays à choisir le pouvoir présidentiel et prétendait faire fonctionner celui-ci avant qu’aucune des parties essentielles du nouveau gouvernement fût encore constituée. Le conseil d’état, auquel la loi fondamentale attribuait une sorte de puissance politique au moins consultative, n’était point organisé; rien n’était réglé ni sur le mode ni sur les limites de la responsabilité respective du chef de l’état et de ses ministres; enfin la loi électorale n’était point faite, de telle sorte qu’en présence de conflits probables et des nombreux problèmes déjà soulevés, il n’y avait aucune issue possible pour les uns, aucune solution régulière à attendre pour les autres.

C’était en présence de ce pouvoir présidentiel réservé et suspect, pivotant sur des ministres coulés dans le moule de la monarchie irresponsable, qu’une assemblée républicaine, frappée au cœur par l’un de ces votes dont on ne se relève point, avait à discuter, afin d’obéir à la mission qu’elle s’était antérieurement donnée, de nombreuses lois organiques embrassant l’ensemble de toutes les questions politiques et morales[1]. Telle était la tâche imposée, aux premiers jours de 1849, à la chambre demeurée la suprême et dernière espérance de la république! Toutes les élections partielles opérées depuis les journées de juin indiquaient en effet trop clairement, pour qu’il fût possible de s’y méprendre, le retour du pays vers les idées et vers les hommes disparus sous la bourrasque du 24 février. L’année 1848 n’était pas encore achevée que plusieurs des personnages éminens formés par nos grandes luttes parlementaires étaient déjà rentrés dans l’assemblée. Ralliés par l’imminence des périls communs, ils avaient retrouvé un chef dans M. Thiers, à qui le suffrage universel venait de rouvrir l’accès de la tribune, où le malheur des temps contraignit l’illustre orateur à venir combattre les plus vulgaires, pour ne pas dire les plus abjectes théories. Abandonnant aux républicains de la veille la tâche de constituer la république et celle beaucoup moins facile de la faire accepter, M. Thiers se donna la mission, à laquelle il était plus propre que personne, de rétablir sur ses bases l’ordre administratif et financier si dangereusement ébranlé, et les progrès de la réaction anti-républicaine purent être mesurés aux progrès mêmes de son influence.

  1. Art. 115 de la constitution du 22 novembre : « Après le vote de la constitution, il sera procédé par l’assemblée nationale constituante à la rédaction des lois organiques qui seront déterminées par une loi spéciale.
    « Ces lois sont :
    « La loi électorale, — la loi sur la presse, — la loi sur l’instruction publique, — la loi sur la responsabilité des dépositaires du pouvoir, — la loi sur le conseil d’état, — la loi d’organisation départementale, cantonale et municipale, — la loi d’organisation judiciaire, — la loi sur la garde nationale et le recrutement de l’armée, — la loi sur l’état de siège. »