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que en Europe. La capitale de l’Autriche avait échappé en trois jours à la main du vieux ministre dont l’habileté retarda quarante ans une crise qui l’étonna moins que personne. Berlin avait répondu par une insurrection victorieuse au soulèvement de l’Allemagne en quête de son unité, et le roi de Prusse, humilié dans son orgueil, déçu dans tous ses rêves, ne conservait plus d’autre espérance que celle de faire profiter son abaissement aux intérêts d’une ambition cauteleuse. Venise et Milan venaient, par un effort héroïque, mais fugitif, de briser leurs entraves; toute l’Italie se croyait libre, et le mois de mars n’était pas achevé que la face du monde paraissait renouvelée au souffle ardent qu’avait exhalé la jeune république française. Ces apparences étaient cependant bien mensongères, car six mois après la situation se présentait sous un aspect tout différent, et la France, qui avait offert, sans réussir à les faire accepter, ses secours aux peuples enivrés de leurs premiers succès, dut subir, sous le coup de ses embarras, l’humiliante extrémité de retirer sa parole et de refuser son concours, lorsque celui-ci fut devenu manifestement indispensable aux divers gouvernemens constitués à l’ombre du sien. Au mois d’août 1848, la crise révolutionnaire durait sans doute encore en Europe; mais déjà l’issue n’en était plus douteuse pour les esprits doués de quelque sagacité. Si l’empire autrichien était ébranlé par les coups que lui portait la Hongrie et par la lutte engagée entre les six races distinctes qui cohabitent sur son territoire, si le parlement allemand continuait à Francfort son œuvre de nébuleuse archéologie, et si l’Allemagne voulait faire payer au Danemark les frais de ses propres déceptions, enfin si la couronne impériale commençait à inspirer au roi de Prusse beaucoup plus d’effroi que de convoitise, la puissance d’une forte discipline sous un vieux général dévoué avait déjà rendu à l’Autriche la domination de l’Italie. En présence d’un désastre prochain, Venise avait pensé qu’elle s’était acquis assez de gloire pour y trouver le droit de confesser ses illusions. Dès les premiers jours d’août, elle adressait à la France d’ardentes supplications, auxquelles Charles-Albert, éclairé par les vicissitudes de la guerre et les ingratitudes de la démagogie, venait bientôt après joindre les siennes. L’Italie unanime demandait à la république, dont l’avènement avait mis à tous les peuples les armes à la main, de ne pas lui retirer la garantie de ses promesses, et de demeurer, pour la sécurité comme pour l’honneur de la France, fidèle au manifeste de M. de Lamartine, programme que s’était approprié l’assemblée constituante en formulant, comme base d’un système extérieur, « la délivrance de l’Italie, l’affranchissement de la Pologne et la conclusion d’un pacte fraternel avec l’Allemagne. »

Mais les grands périls rendent égoïste, et la France, qui sortait à peine de la lutte gigantesque engagée à Paris contre l’anarchie,