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La bataille était en effet terminée. Ainsi qu’il arrive souvent en temps de crise, le plus violent, ou, pour parler plus exactement, le plus absolu dans ses idées l’emportait, et la grande métropole de l’Union se prononçait une fois de plus contre toute tentative de compromis avec le sud. La procession des dykers, ou partisans d’Opdyke, s’en allait, à la lueur des torches, donner à son patron une sérénade de tambours, et je revenais en suivant les trottoirs de l’interminable Broadway, lorsqu’en passant devant un de ces hôtels-caravansérails que nous cherchons depuis quelque temps à introduire en France, je me heurtai à une seconde sérénade plus modeste. Hail, Columbia ! fut d’abord écorché par trois cuivres et une grosse caisse, puis une gigue, puis de nouveau Hail Columbia ! après quoi l’on entra dans le spacieux vestibule de l’hôtel. Une foule aussi respectable que celle de la Juive à l’Opéra se rangea autour de l’escalier, sur le palier duquel parut le héros de la fête. C’était un officier qui arrivait à New-York après avoir été quelque temps prisonnier des confédérés. Il racontait sa captivité : celui-ci l’avait maltraité (trois grognemens dans l’auditoire), cet autre lui avait donné du bouillon (Dieu le bénisse ! dans la foule). La péroraison fut longue, stars and stripes, our glorious Union, most infamons rebellion. Je désespérais de sortir de cette phraséologie patriotique sur laquelle on est vite blasé aux États-Unis, lorsque l’orchestre reprit encore Hail, Columbia ! Je me sauvai cette fois au plus vite, suffisamment repu de politique pour un jour.


II.

Les personnes qui suivaient en Europe les péripéties de la lutte engagée aux États-Unis doivent se rappeler comment, à chaque bataille importante, la progression des bulletins qui franchissaient l’Océan était assujettie à trois phases bien distinctes. Au premier courrier, l’Union avait remporté une victoire sans égale ; au second, peu de jours après, on admettait quelque indécision dans le résultat, et au troisième enfin on était tout étonné d’apprendre que le nord avait été définitivement battu, ou peu s’en fallait. À New-York de même, la vérité se faisait rarement jour tout d’abord. Pour la bataille de Pittsburgh par exemple, la plus disputée qu’on eût encore vue dans cette guerre, les nouvellistes métropolitains ne craignirent pas de représenter Beauregard comme en pleine retraite, et l’on fut quelque temps avant de savoir combien avait été complète la déroute du premier jour sous l’irrésistible attaque des colonnes confédérées. Soit dit en passant, dans ces deux journées que l’on avait représentées comme les plus sanglantes des temps mo-